Les
noyés de la Méditerranée
AUTEUR: Olivier
DUHAMEL
Cela s’est passé dimanche dernier. On ne l’a appris que mardi. Dimanche dernier
chez nous, en Méditerranée. On a dit qu’ils étaient presque tous Égyptiens,
comme pour circonscrire le drame. Ils venaient de partout, du Bangladesh et du
Pakistan, de Syrie et d’Égypte, de Somalie et d‘Érythrée, d’Inde et du Nigéria,
du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, de l’autre côté de la Méditerranée, du côté
de la pauvreté. Ils venaient de partout, ils voulaient venir chez nous, les
Européens, ils avaient fait la moitié du chemin, celui qui les conduisit en
Libye.. Ils ont embarqué à Sidi Belal Janzour, une des plages d’embarquement
bien connue pour être un haut lieu du trafic des
clandestins. Ils sont montés à quelques centaines sur une embarcation prévue
pour quelques dizaines de passagers, sur trois bateaux, apprendra-t-on par la
suite.
Le sirocco s’est levé, prévisible sinon prévu, la mer s’est déchaînée, deux
embarcations ont coulé, la troisième aurait disparu. On ne sait même pas
combien se sont noyés. 230 selon les autorités libyennes, 300 selon
l’Organisation internationale des migrations, possiblement 500, selon l’ONG
Migreurop.
Ces morts ont été deux fois noyés : noyés dans leur tentative désespérée de
quitter la pauvreté et noyés dans l’indifférence des médias comme des
politiques, tous par le G obnubilés.
300 morts à nos portes et pas 3 minutes dans les JT*du mardi ! Le plus grand
naufrage d’immigrés en Méditerranée et moins de 50 lignes dans Le Figaro. 300
hommes, femmes, enfants noyés et une colonne, mercredi, dans Libé**. 300
engloutis et quasiment pas une interpellation politique. Imaginez si c’était un
TGV Paris-Méditerranée qui avait déraillé, si c’était une usine chimique
qui avait explosé, si c’était une tour de Manhattan qui avait été attaquée :
on aurait ouvert les JT de mardi, de mercredi, de jeudi sur le sujet. Le G20
aurait communiqué, tout le monde se serait indigné, et là, rien, plus rien.
Pas un reportage pour savoir s’il y a eu 200, ou 300 ou 400 ou 500 morts.
Pas un envoyé spécial à Janzour pour faire parler les rares survivants. Pas un
débat public sur le bien-fondé ou non des patrouilles italo-libyennes qui vont
se mettre en place le mois prochain. Tout sur les paradis fiscaux, rien sur
l’enfer des trafiquants de clandestins. Tout ou presque sur la crise au Nord,
rien ou presque sur ses ravages au Sud et ses naufrages à l’entre-deux..
Que ne faut-il faire pour empêcher un tel désastre ? Je l’ignore, mais la
première chose à faire serait de ne pas le supporter, le passer sous silence et
donc, mine de rien, s’y résigner. La deuxième chose à faire, serait de
confronter des solutions, des pistes de solutions différentes, dans des débats
contradictoires et argumentés. La troisième chose à faire serait de relire les
premiers mots de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme
qui consacre le droit de toute personne à la vie, de quelque côté de la
Méditerranée soit-on né.
* JT : journaux télévisés
** Libé : le quotidien Libération
Source : La chronique d'Olivier Duhamel 03.04.2009, retranscrite par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Article original publié le 03/04/2009
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