Abrégé de la guigne en politique
Les
Africains, hésitants à se réjouir de la nouvelle Présidence en exercice de
l’Union doivent se référer au parcours acrobatique du Guide de la Grande
Jamahiriya Arabe Libyenne, pour tenter de comprendre ce qui les attend. En
mars 2009, de la Mauritanie, au Niger, en passant par la Guinée Bissau, les
premiers pas du prétendu Roi des Rois traditionnels du Continent ne
présagent pas la réjouissance. Pourtant, il n’y pas lieu de subir la
surprise ou la déception.
Mouammar
Kadhafi se révèle d’une certaine constance, dans l’erreur et la volte-face.
S’en faire un ami prépare toujours à la plus certaine des déconvenues.
Diagnostic
En effet, depuis les décennies d’une omnipotence presque dépourvue de
bornes et de contestation, le Guide – bien sot lui confierait sa
destination - apporte son appui, de façon spectaculaire, à des régimes ou
des hommes qui en ont souvent pâti, au-delà même de leur faculté au
cauchemar. Ses faveurs passionnées et encombrantes pèsent, toujours, de
conséquence lourde sur le bénéficiaire. Avoir Kadhafi pour ami équivaut à
une malédiction quasiment irrémissible et prélude d’atroces trahisons. Le
présent rappel des faits retrace, à la manière d’un traité de prudence par
l’exemple, combien la proximité du personnage porte pire péril et conduit
sûrement à l’infortune. L’auteur de tentatives de ménage avortées avec tous
les Etats de la Ligue Arabe a fini par désespérer de ses congénères,
coreligionnaires et voisins jusqu’à la nausée de la désillusion.
D’expérience, le phénomène Kadhafi, en soi d’une consistance résiduelle, se
cristallise dans le concept du dépit amoureux, chair et hargne se fécondant
à l’envi.
Symptômes
Commençons, de mémoire faillible sans doute, par la guerre entre la
Tanzanie et l’Ouganda en Octobre 1978 où il vola au secours de son «
frère et ami », le très folklorique et sanguinaire dictateur Idi Amin
Dada, boxeur de profession, vaguement trouffion de la Couronne britannique
et président par défaut.
Le Colonel Kadhafi
engage, pour sa protection, 3000 soldats libyens ; envoyés au front dans la
forêt, ils durent se battre dans un environnement d’hostilité intégrale. La
plupart découvrent l’adversité du terrain et en périssent. Les combats en
tuent d’ailleurs moins que la malaria. La moitié de l’effectif finit
aux mains des troupes de Tanzanie, entraînant la débâcle de l’armée
Ougandaise. Le 11 Avril 1979, après la cinglante défaite de ses troupes,
Idi Amin Dada s’enfuit, dans un avion libyen, à destination de Tripoli ; il
abandonne son palais de Kampala au prédécesseur et opposant civil, Milton
Obote. L’humiliante épopée ne s’achèvera pas ici.
Idi Amin débarque en héros, reçu à bras ouverts, par Kadhafi, lequel
retournera le déshonneur et l’amertume contre l’hôte au physique
considérable et l’expulsa vers l’Arabie Saoudite. Idi Amin, né musulman
dans une ethnie du Nord de l’Ouganda, achèvera ses jours chez les Wahhabites,
en plein désert, maudissant, aux rares interlocuteurs, son cornac de
malheur, sans l’affection duquel, la chute eut été moins prompte. En
quelques jours, l’armée d’opérette de Tripoli dirigea les opérations
militaires sur le terrain ; la maladresse et l’improvisation
stupéfiante dont elle fit montre démoralisèrent le camp du despote et
précipitèrent sa déconfiture.
Là encore, comme plus
tard au Tchad, la Libye a dû obtenir la libération de ses prisonniers par
le versement de centaines de millions de dollars au gouvernement tanzanien,
en guise de dommages de guerre.
En Janvier 1979, après les violentes manifestations d’élèves et étudiants
dans les rues de Bangui, une crise politique et sociale secoue l’empire de
Centrafrique, tout juste sorti de son écrin de diamant.
Les 17 et 19 Avril 1979, l’autre « frère » du colonel Kadhafi, sa Majesté
l’Empereur Jean Bedel Bokassa 1er et dernier réprime les marches et ordonne
des arrestations et tueries d’élèves ; la presse occidentale l’accuse même
de cannibalisme. La crise atteint son paroxysme, les relations avec la
France de Giscard d’Estaing se détériorent. Les rapports personnels du
président Français et du souverain de pacotille se dégradent, aussi, de
jour en jour. Devant la fragilité de l’ordre à Bangui, le Colonel
Kadhafi décide de lui tendre le bras de secours, sans tirer les leçons du
fiasco Ougandais. D’un coup de pétrodollars, il d’annule les ennuis
financiers de Bokassa, lui envoie un avion rempli d’armes et de troupes
d’élite pour sa protection rapprochée, défie la France et fustige
l’Occident, ses droits de l’Homme et sa démocratie, dans des termes
comparables aux siens, le 11 mars 2009, dans l’amphithéâtre du Palais
des congrès à Nouakchott.
Euphorique, il invite
son nouvel héros, l’Empereur Jean Bedel Bokassa, qu’il célèbre, à Tripoli,
le 19 septembre 1979. Il lui promet la protection, l’Aman s’il le faut et
de transformer son pays en paradis, grâce aux ressources pétrolières. Lors
de leur entretien récent en Libye, il réitère la même promesse, au général
Ould Abdel Aziz de Mauritanie, qui venait d’inaugurer la réouverture de la
saison du putsch sur le Continent, après quelques années d’accalmie et
d’effort vers une démocratisation ô combien laborieuse. Lors de son
discours de bienvenue à L’Empereur, le Colonel Kadhafi prend
l’engagement, devant Dieu et jure de défaire l’impérialisme en
Centrafrique.
48
heures suivantes, le 21 septembre 1979 à l’aube, les troupes françaises
lancent l’opération Barracuda de destitution de l’hôte du colonel Kadhafi
et le remplacent par son cousin et prédécesseur David Dacko.
Dans l’après midi, 17 militaires libyens se laissent arrêter et désarmer,
dans une villa à moins de 500 mètres de l’aéroport ; 20 autres de leurs
compatriotes en uniforme se rendent quelques minutes plus tard, dans une
autre maison banalisée, sur l’avenue Boganda. Le reste de la troupe, venue
sauver le frère Bokassa, abandonne fusil, barda et drapeau, pour se
refugier dans les locaux de la représentation diplomatique de la Jamahiriya,
devenus, en la circonstance, d’une embarrassante exiguïté. Les commandos
Barracuda saisissent des Toyota équipées de mitraillettes, des centaines de
Kalachnikovs, des mitrailleuses lourdes, des lance-roquettes RPG7 et
d’énormes quantités de munitions, tous gadgets de mort fraichement
débarqués de Tripoli.
Le Colonel Kadhafi, fou de rage, menaça de lâcher les masses populaires sur
la communauté Française de sa capitale. La nuit portant conseil de
pragmatisme, le lendemain, des émissaires libyens vinrent transmettre un
message radical à Bokassa : il n’est plus le bienvenu et doit
impérativement quitter le territoire.
Endémie
Au Tchad, le Guide de la Révolution Libyenne a investit des milliards de
pétrodollars, pendant toute une décennie, pour soutenir à tour de rôle puis
combattre chacune des tendances en armes, depuis la chute de François
Ngarta Tombalbaye en 1975. Toutes y sont passées, à nulle exception.
Il commence par équiper d’abord le FROLINAT du Docteur Abbas Siddick et
pousse Hissène Habré à le destituer ; ce dernier, nationaliste
ombrageux, personnage retors, intransigeant et impérieux, rejette
toute ingérence libyenne dans la vie du mouvement, en particulier la
gestion de l’enlèvement de l’anthropologue Françoise Claustre. Faute de
parvenir à influencer Habré, les Libyens le lâchent pour mettre en orbite
Goukouni Weddeye, un chef Toubou dont l’esprit d’indépendance les
surprendra. Président du gouvernement d’union nationale du Tchad (GUNT), il
s’improvise acteur majeur de la crise, grâce à l’appui massif et sans
réserves du Guide ; le voisin du Nord mettra à son service, avec plus ou
moins de bonheur, des divisions entières, des centaines de blindés, une
aviation de guerre et la fameuse légion islamique. Kadhafi engagera une
guerre totale et sans merci aux côtés de son allié, dans le désert du
Tibesti.
Face aux revers subis par ses vaillants révolutionnaires et malgré les
moyens pharaoniques, Kadhafi retourne sa colère contre Goukouny Weddeye. Il
décrète, le 17 Octobre 1986, son arrestation et remplacement par Acheikh
Ibn-Oumar, leader des Conseils de Défense de la Révolution (CDR). Il envoie
de nouveaux renforts aux confins de Faya Largeau, Ouadi Doum et à
l’intérieur de la bande d’Aouzou et s’escrime, en vain, à consolider la
présence de ses troupes tandis que l’insatisfaction y gronde et la
mutinerie menace.
Le 2 Janvier 1987, le Commandant en chef des Forces Armées Tchadiennes,
Hassan Djamous surprend les libyens et leur inflige un revers cuisant ; 781
soldats périssent et 81 sont prisonniers ; d’importantes saisies d’armes,
de tous calibres, attestent l’énormité de la défaite.
Au lieu de tirer la leçon, Kadhafi choisit l’escalade et généralise le
bombardement, par son aviation, sur le nord et l’est du pays.
La réponse ne tarde, le 22 mars 1987, lorsqu’une armée tchadienne, en
haillons et complètement démunie, occupe, au terme d’un engagement intense,
la base libyenne de Ouadi-doum.
Le bilan frise l’hécatombe humaine : 1269 libyens décèdent et 438 se
rendent. Y figurent des détenus prestigieux, tels le chef des
opérations, le général Khalifa Haftar, membre du Conseil de
Commandement de la Révolution et le commandant Sabhane Al
Maghrahi cousin du commandant Abdessalam Jalloud, à l’époque numéro 2
du régime ; parmi les détenus, les services de renseignements occidentaux
s’intéressent, aussi, au Commandant Sabah, maitresse préférée du Guide et
sa première femme garde du corps.
Rechute
Revenons un instant, à Bangui, en République Centrafricaine, 23 ans après
la liaison malheureuse avec l’Empereur Jean Bedel Bokassa. Le 25 Octobre
2002, Ange Félix Patassé, victime d’une tentative de putsch, perpétrée par
son chef d’état major François Bozizé, se débat dans le doute primordiale
du président de république bananière en proie à l’incertitude de se faire
occire derrière chaque feuille de palétuvier. L’insurrection échoue et
l’auteur se réfugie au Tchad voisin.
Kadhafi, dans tous ses états d’hystérie circonstancielle, fustige les
prises de pouvoir par la force et s’engage à ne plus jamais accepter
de coup d’état en Afrique. A tous ses interlocuteurs, avec la force d’une
conviction vieille d’évidence, il décrète, révolue et de basse
civilité, l’ère de l’aggiornamento en politique. Il apporte, au Président
élu, Ange Félix Patassé, des garanties et des assurances éloquentes
et lui envoie des fantassins, pour défendre son carré de préséance et
préserver sa sécurité. Kadhafi organisera, en Libye et à grands frais
d’annonce, une rencontre entre Ange Félix Patassé et Idriss Deby Itno, afin
d’obtenir de ce dernier, l’extradition du général Bozize vers Bangui.
Le Guide est d’autant plus déterminé qu’il va convaincre Jean-Pierre Bemba,
promu « mon fils », d’intervenir militairement, en Centrafrique, au profit
du Président en sursis.
Avec sa bénédiction, son soutien logistique, ses armes et moyens
financiers, les mercenaires du rejeton par courtoisie traversent le fleuve
Oubangui qui les sépare de la capitale. Telle une anachronique invasion de
Huns et de Tatars, ils sèment la terreur et la ruine sur leur
passage. Bozize revint à la charge et chassa Patassé, lequel, appauvri par
ses conseillers aigrefins, s’exile, à Lomé.
De ses crimes en Centrafrique, Jean Pierre Bemba, le chef du Mouvement de
Libération du Congo (MLC), candidat parvenu au second tour de l’élection
présidentielle dans son pays, doit rendre compte, aujourd’hui, devant
la Cour Pénale Internationale. Au moment des actes présumés de crimes
de guerre, crime contre l’humanité et viols collectifs, Bemba se trouvait
en Afrique du Sud où il participait à des négociations inter
congolaises.
Au
scrutin du 30 juillet 2006, le Guide voulait ardemment la victoire de
Jean-Pierre Bemba et y engloutit des ressources colossales, jamais
utilisées dans une campagne en Afrique, pour acheter les grands électeurs,
arpenter les circonscriptions, entretenir 2 chaînes de télévision et
tout un réseau de radios libres. Son poulain ne put remporter la
compétition et l’affection du Guide l’a conduit en cellule, dans une prison
de La Haye, aux cotés d’un autre protégé de Kadhafi, Charles Taylor
Ghankay.
Dissémination
C’est la Libye du Colonel Kadhafi qui héberge ce dernier après son évasion
d’une prison du Massachussetts, aux Etats Unis d’Amérique ; il croupissait
en cellule pour avoir détourné 1 million de dollars, en sa qualité de
directeur du service des achats de l’administration du Libéria, qu’il
fuyait en 1983.
La Jamahiriya lui offre asile et entraine ses hommes, dont le tristement
célèbre Prince Johnson. L’on se souvient de sa responsabilité dans la
torture, la mutilation et l’assassinat sauvage, devant les caméras, de
l’ancien Président, le sergent-chef Samuel Doe, auteur de la première prise
de pouvoir par les autochtones, au détriment de l’élite métis dont descend
Taylor. Huit années durant d’une violence primitive d’un autre âge, les
services libyens, sur instructions du Guide, forment, équipent,
acheminent au Libéria et financent, la geste carnassière de Taylor.
La contagion n’épargne les voisins. Ainsi, la Jamahiriya créée et surarme
la rébellion du Front Révolutionnaire Uni (RUF en Anglais), ces fameux
bataillons de mineurs soldats, coupeurs de mains, mi drogués mi
prospecteurs de gemme ; Foday Sankoh et Sam Bokary, criminels de facture
libyenne, ont imposé, au peuple de la Sierra Léone, des amputations
singulière dans un Continent pourtant martyre mille fois. L’alternative «
manche longue/manche courte » accordera, à leur boucherie, la notoriété du
genre.
Aujourd’hui, Charles Taylor, protégé de Kadhafi, décrépit lui aussi dans
une cellule de la Cour Pénale Internationale (CPI). Quant à Foday Sankoh et
Sam Bokary, ils ont payé, de leur vie, les faveurs du Guide éclairé.
Victorieuses pourtant, les milices suscitées par la Libye s’entretuèrent
aux portes de Freetown et dans ses faubourgs, dans un accès d’irrationalité
polémologique.
Incurable
Le virus du Tchad tenaille toujours le patient. L’anecdote vaut bien la
parenthèse : En 1993, éclate une discorde entre le Président du Tchad
Idriss Déby et son Chef d’Etat Major et homme fort, le Colonel Abbas Koty
qui entra en rébellion armée contre Ndjaména. Suite à d’importantes
pressions, l’insurgé se rend en Libye où, sous l’égide du Guide, des
négociations, entre les deux camps aboutissent à un accord, sur l’honneur,
signé le 14 Aout 1993, devant le médiateur Libyen, le Colonel Kadhafi
lui-même.
En son article 1er, l’entente stipule que le Colonel Abass Koty, son
collaborateur et son garde corps retournent à N’djamena, accompagnés d’une
délégation de la grande Jamahiriya, dans le cadre de l’amnistie, déclarée
par le gouvernement de la République du Tchad. Ils bénéficieront, sur
place, de la protection du facilitateur, garant de leur sécurité physique.
Deux jours après, le 16 Aout 1993, ils arrivent dans la capitale, sous
escorte d’un imposant dispositif de sécurité libyen ; le colonel Abdou
Rahman Al Seyid, représentant de la Grande Jamahiriya aux négociations,
commande la manœuvre et garantit les termes de la conciliation.
Le 22 Aout 1993, le colonel Abass Koty, son collaborateur, son garde corps
et certains membres de sa famille sont assassinés à 13h, pendant qu’ils
déjeunaient, dans son domicile, à N’djamena. Jamais le Guide Libyen
n’a protesté.
Le défunt Président du Niger, le Général Ibrahim Mainassara Baré
s’attira la sympathie enthousiaste du Guide après son coup d’état en
janvier 1996 ; ce dernier avait alors réuni, à Syrte, tous les responsables
de l’opposition, regroupés au sein d’un front républicain pour la
restauration de la démocratie (FRDD). A ces démocrates chevronnés, il
tenait le même monologue obsessionnel, qu’à la classe politique de
Mauritanie, le 11 Mars 2009, au Palais des congrès de Nouakchott.
Après l’assassinat du Général Baré le 9 Avril 1999, Alpha Oumar
Konaré, à l’époque Président du Mali, s’insurgea contre la barbarie du
putsch, refusa d’en croiser l’instigateur et s’obstinait, selon une
admirable rigueur, à plaider la suspension du Niger de toutes les instances
sous régionales et régionales. Hélas, c’était sans compter avec le cynisme
héroïque et la loyauté friable du bienfaiteur de feu Mainassara ; Kadhafi
manifesta, énergiquement, du respect et de la sollicitude, pour l’assassin
de son ami et frère de la veille, le chef de bataillon Daouda Malam Wanké
qu’il invita et reçut, faste et honneurs en confirmation, au sommet
fondateur de l’Union africaine, le 9 septembre 1999, à Syrte.
Le 15 Septembre 2004, le chef d’escadron Daouda Malam Wanké meurt, dans la
misère, abandonné par le colonel Kadhafi, désormais fidèle à son
successeur, Mamadou Tanja.
La liste des privilèges accordés par Kadhafi et dont les bénéficiaires les
acquittent au prix fort s’allonge encore partout en Afrique et ailleurs ;
comble du ridicule et si loin de la Chahama – la dignité des preux chez les
Arabes- lorsque ses amis déchoient, toujours les abandonne-t-il
au triste sort et se lie à leurs tombeurs.
Impuissance
D’une sincérité un peu délicate à évaluer faute de sérénité intime, Kadhafi
s’avère un homme profondément malheureux, parce que trop fier, irrégulier,
sans stratégie mais d’une inefficacité performante ; ses actes,
spectaculaires et irréfléchis accouchent de l’échec, peu lui importe le
naufrage des individus qui sombrent de son erreur. Même la mémoire, qui enseigne
la prudence empirique à la plupart des espèces vivantes, lui fait défaut.
En 1969, il s’improvisait conscience active du nationaliste arabe et
militant révolutionnaire dont les combats et rêves tenaient à l’unification
de la Umma. Il va s’y investir tambour battant. Or, toutes les
intégrations, en chantier consécutifs, vont connaître une déroute tellement
répétitive qu’elle en frisait le fétichisme masochiste ; avec la Tunisie en
1973, par la suite l’Egypte, la Syrie, le Maroc, le Soudan, un moment
Chypre et même la très chrétienne Malte, il aura désiré l’improbable amour
et notre souvenance, s’épuise à recenser tant de désinvolture.
Déçu des refus opposés à ses offres, chagrin d’éconduite perpétuelle, il
change de stratégie et s’avise d’obtenir l’étreinte convoitée, à coup de
millions de dollars et de déstabilisation des régimes prudes. Si tu ne lui
vends pas ton amitié ou ton estime, si tu déclines sa fraternité lucrative,
le Guide s’emploie à t’infliger bien des misères. Par les opposants
aux pouvoirs rétifs à sa séduction, il confectionne, en Libye, des
mouvements de libération plus ou moins crédibles dont les figurants se
naturalisent ou repartent, sur la pointe des pieds, tremblants de peur,
surtout au lendemain de la disparition, le 31 août 1978, du Chiite libanais
Moussa Sadr. Certains croyaient en l’homme et son idéal mais se retrouvent,
pieds et poings liés, dans le laboratoire de sévices d’une officine de
renseignements de leurs pays.
Comme à son habitude, en dépit de la facture colossale et du désir ardent
de se dépasser, Kadhafi peine à produire un début de changement chez un
peuple frère, même pas la Mauritanie du colonel Mohamed Khouna Ould
Haidalla.
Au lieu de rassembler sa race comme il en cultive le mythe, Kadhafi
l’incompris se confine dans la solitude et l’amertume envers l’ensemble de
ses pairs de la Ligue et s’éloigne des factions palestiniennes qu’il
présumait prendre sous son aile.
Un jour, tirant, pour une fois, la leçon de ses déboires, il renie
désormais l’arabité, et décrète le peule Libyen, d’origine plutôt bantou,
davantage parent des congolais, des gabonais que des bédouins du Maghreb.
Rajeuni par un soupçon de lucidité fugitive, il s’investit dans une
nouvelle entité des Etats-Unis d’Afrique. L’homme croit aux chimères, adule
l’utopie et y gaspille du temps et surtout les richesses de son sous-sol.
Cependant, pour annoncer, aux africains, sa vison d’un avenir radieux, il
renvoie chez eux, avant chaque sommet de l’UA, par charters, dépossédés,
humiliés, frustrés, de paisibles immigrés, venus chercher leur pitance, à
la sueur du front, chez le promoteur même du lendemain meilleur.
Complexe
A présent, le chantre du nationalisme arabe, bonifié par le panafricanisme
du pagne, mue en héraut de la monarchie. Le gauchiste de naguère, tombeur
de l’égrotant Abdallah el-Senoussi, auteur de la première république en
Libye et inventeur de la Jamahiriya état des masses, pendant 40 ans
détracteur de toutes les féodalités contemporaines, s’autoproclame Roi des
Rois et chefs traditionnels d’Afrique. Comment s’empêcher de concevoir, au
moins, un peu de perplexité, devant de si pathétiques revirements !
Depuis sa distinction
accidentelle par putsch, le Colonel Mouammar Kadhafi, Guide de la Grande
Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste, récemment auto-promu Roi
des Rois et chefs traditionnels Africains, a voulu, les millions de dollars
en guise d’argument diplomatique, parfois par la guerre au besoin,
résoudre les conflits, dans le seul but de se donner un rôle majeur mais le
succès manque.
Il s’est impliqué - mandaté ou non - dans le règlement des crises
d’autorité et de légitimité, même les plus exotiques, sans parvenir jamais
à en clore aucune.
Faute de caution, dans
ce nouveau rôle, par les vrais aristocraties coutumières du Continent tels
Mohamed VI du Maroc, Mswati III du Swaziland, Letsie III du Lesotho,
Otumfuo Oséi Tutu II tout puissant maître de l’Empire Ashanti qui couvre
une partie du Ghana et de la Cote d’ivoire, le Mogho Naba Tigré des Mossi
au Burkina-Faso et bien d’autres Emirs du Sahara et Chefs de case
prestigieuse du Sahel, Kadhafi brigue et achète le couronnement par des
pieds nickelés, un peu bouffons à l’encan, dont le déguisement sert de
gagne-pain. Avec Mouammar, l’intercontinentale de l’escroquerie au titre de
noblesse prend siège à Tripoli. Elle tient, à longueur d’année, une
représentation sous guichets très ouverts, dans les couloirs de l’hôtel
Funduq Al-Kebir, sur la corniche de Tripoli. Un noble guerrier de l’Ouest
ivoirien qui s’afficha avec le Guide se vit, au retour, déposer par ses
pairs, au motif de « mauvaise fréquentation » !
Danger mortel!
John Jerry Rawlings, ancien président réformateur du Ghana et vieil
familier de Kadhafi dont il partagea les confidences, les illuminations et
quelques délires de rédimer le monde, en témoigne, sur le mode du
désenchantement amer : « c’est un homme avec qui l’on ne peut partager des
valeurs et dépourvu de toute vertu ».
Le jour où j’ai appris, un peu amusé par la perspective comparative et ses
récurrences, que Kadhafi disait du bien du Général Aziz, je compris à quel
point les jours de ce dernier sont désormais comptés. L’hôte, imprévisible
en tout sauf dans la malchance dont il asperge ses émules, aura scellé, de
quelques compliments mortels, le sort du putschiste mauritanien. Le Général
Aziz, malgré les manifestations et toutes les sollicitations de son peuple
depuis des années avant lui, refusait de rompre ses relations avec l’état
d’Israël, avant de céder, in extrémis, aux exigences de la Libye, la veille
de la visite controversée du Guide ; au prix modique de 10 millions de
dollars, livrés en liquide, le jour de la fermeture de l’ambassade de
l’état hébreu à Nouakchott, le dirigeant de la junte joue mise de hasard
sur la vie, avec toutes les conséquences d’un tel choix pour lui et son
pays, dans la configuration du rapports de force, entre les Etats-Unis,
l’Europe et surtout les institutions financières internationales.
L’arrivée en Mauritanie du Colonel Kadhafi a suscité, chez ce peuple fier
et humble, voire parmi ses chefs militaires, l’espoir insensé, bientôt
déçu, de les aider à affronter l’hostilité du monde. Paradoxe pitoyable,
Mouammar Kadhafi, par sa partialité, en violation d’un mandat reçu de
l’Union africaine qu’il vient à peine de présider, pousse les deux
principales forces politiques du pays, le RFD et le FNDD, à une ébauche
d’accord contre sa médiation.
La visite du Guide démontre, aux Mauritaniens, combien leur général
renonce, vite, à la souveraineté du pays, pour la sauvegarde de ses
intérêts immédiats. Nombre de ses compatriotes se sentent encore bafoués et
ressassent la blessure morale de ces 72 heures de siège, dans leur
capitale, sous la botte de courtisans, collaborateurs et gardes de corps
d’un chef d’état étranger, avec la bénédiction du haut conseil d’état et de
son président.
Les images de cette virée de potaches, diffusées en courbe par la
télévision libyenne, choquent qui connaît bien les mauritaniens et leur
monomanie de la grandeur. Des dizaines de jeunes filles, selon une
sélection au faciès, toutes habillées en uniforme blanc et maquillées pour
la circonstance, buvaient la parole d’or du Guide, sous l’œil, torve et
goguenard, des membres de sa suite. Que recherchait-on au travers de
cette mise en scène indécente et insultante pour la République
Islamique de Mauritanie ?
Généralement,
la déchéance de la culture et des mœurs, à ce degré de déficit en vergogne,
se paie d’une lourde contrepartie.
Le surlendemain, Kadhafi s’en allait semer la semence du doute en Guinée
Bissau et au Niger et le Général Ould Abdel Aziz, à la conquête de
l’électorat, une rare assurance sur les lèvres. Fort d’une sollicitude
inespérée de l’hôte de la veille, il défie le monde et se paie de témérité.
Comme le pendu agitant sa corde afin de se libérer de son emprise, plus il
remue, mieux le nœud coulant lui enserre le cou. L’étouffement
précipite le terme fatal. Partout sur terre, l’on meurt de bêtise ; en cela
les Français s’étonnent, à juste titre, au constat que le ridicule ne tue
plus autant.
Maitre Souaïb Kamaga, pour
Taqadoumy
Avocat, Président du Mouvement Démocrate Africain
Yaoundé-République du Cameroun
© Taqadoumy - Mars 2009
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