Un meurtrier de la démocratie ne
peut pas œuvrer pour l’émancipation des esclaves
Les organes de presse publics
devenus, depuis le 6 août 2008, la voix du général limogé, font état de la
mobilisation d’un milliard
d’ouguiyas pour améliorer les conditions de vie des habitants dans les
adwaba et les autres milieux marginalisés. Il s’agit, selon eux, d’un
programme qui serait lancé au cours de cette année pour combattre les
séquelles psychologiques, sociales et économiques des pratiques
séculaires de l’esclavage en Mauritanie.
Pourrait-on croire ces dits efforts et à la velléité absurde de la junte de
lutter contre les prétendues « séquelles de l’histoire » selon l’euphémisme
récent du général Mohamed Ould Abdel Aziz et son commissaire des droits de
l’homme et des actions humanitaires, le très sulfureux Ould Dadda?
Devrait-on permettre que la question on ne peut plus capitale et
complexe de lutte contre l’esclavage soit un thème et un slogan de
propagande fallacieuse, au service des ambitions aveuglement
personnelles d’un homme qui ne croit nullement à l’abolition de
l’esclavage, ni aux droit des esclaves ?
Doit-on
permettre que cette cause qui est maintenant celle de tous les
mauritaniens (hommes politiques, société civile et institutions
démocratiques légales) devienne un refrain de la démagogie pitoyable
d’un général en fin de règne, lancé dans une course électorale avant
l’heure ?
Après plusieurs décennies de combat mené par
essentiellement des leaders politiques et militants des droits de
l’Homme haratines, naguère vilipendés, diffamés et jetés à la vindicte
publique, la grande Mauritanie, celle-là même qui a dépassé ses
clivages raciaux et de caste, ses différences culturelles et ses
divergences politiques, s’est résolue à reconnaître l’existence
effective des pratiques de l’esclavage dans le pays et a pris la ferme
décision de les combattre avec courage et détermination.
Ainsi le Parlement, à l’instigation du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh
Abdallahi a-t-il
voté, à l’unanimité, la loi n°2007-48 criminalisant les pratiques
esclavagistes, mettant fin aux susceptibilités sur lesquelles achoppait
le débat sur l’existence ou non de l’esclavage.
Ce sujet
brûlant évacué à l’emporte-pièce par les différents régimes qui se sont
suivis en Mauritanie, a fait l’objet d’une loi de la république, et
pour la première fois de notre histoire, par un Président élu
démocratiquement par le peuple. Ce n’était pas l’effet du hasard parce
que cet homme savait écouter les exigences de la concorde et de l’unité
et trouver des partenaires progressistes et des forces démocratiques
pour réunir les mauritaniens autour du soulagement de la souffrance de
cette frange et la réhabiliter.
Croit-on que nous avons
oublié que les soutiens de la junte, ceux qui nourriront plus tard les
rangs démoniaques de la fronde parlementaire et les autres, les
idéologues marmitons, ont sonné le glas de l’alliance Président de la
République, Monsieur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, le
jour même où il a prononcé le célèbre discours où il promettait au
peuple mauritanien de résoudre cette question et celle, encore
pendante, des exactions de 1989 ?
Croit-on que nous avons oublié le discours imbécile sur « la préservation et la
sauvegarde de l’équilibre socioculturel et démographique du pays
» ? Croit-on que nous avons oublié les initiatives, forums et
conférences qui ramènent à la mémoire les souvenirs sombres de la
période comprise entre 1986 et 1991, pendant laquelle les
antiesclavagistes n’avaient d’autres choix que la clandestinité ?
Non ! Nous n’avons pas oublié et, d’ailleurs, personne ne peut oublier
! Et pour cette raison, les esclaves et fils d’esclaves qui aspirent à
des solutions durables à cette tare de notre histoire récente,
n’accepteront jamais d’être monnayés contre un milliard, comme semble
le suggérer la solution puérile du général !
Le phénomène de l’esclavage ne peut être évacué par le « dédommagement »
pécuniaire des victimes, et encore moins quand cela vient d’un général
putschiste au pouvoir chancelant, lui-même convaincu que toutes les
mesures qu’il prend sont nulles et non avenues ; un général
anticonstitutionnel en quête d’une légitimité impossible.
La
lutte contre l’esclavage est un noble projet dont la réalisation est un
des gages de la stabilité et de la pérennité de notre pays. C’est une
foi et un devoir qui nécessite la synergie des efforts du maître et de
l’esclave, une politique inclusive, des institutions constitutionnelles
légales, un fondement juridique et surtout une adhésion politique et
populaire sincère et absolue.
D’ailleurs l’histoire n’a pas la mémoire courte. Elle retiendra que le général
Mohamed Abdel Aziz, immédiatement, après l’exécution de son coup d’Etat a:
1- pris pour cible, de façon expresse et sans détour, le Président de la
République, Monsieur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi qui est, selon lui,
coupable d’avoir scellé une alliance « contre nature » avec l’Alliance
Populaire Progressiste dont il a adopté systématiquement le programme, «
faisant ainsi fi de sa propre majorité
». Bien sûr, par programme, le général vise la lutte contre l’esclavage
et ses corollaires et le retour des mauritaniens expulsés, deux
préoccupations majeures et constantes du Président de l’Assemblée
Nationale, Monsieur Messaoud Ould Boulkheïr ;
2- dévoilé « ses priorités »
exposées par son soi-disant Premier Ministre lequel a carrément exclu
la lutte contre l’esclavage. En effet, même répondant à la question
d’un journaliste, ce dernier a osé dire que les préoccupations de la
junte sont tout autres ;
3- coopté tous les mouvements
réactionnaires et l’ensemble des caciques des idéologies racistes et
xénophobes, responsables de plusieurs décennies de haine et d’exclusion
dans le pays, ceux qui font actuellement office de rempart aux
putschistes et de théoriciens de la fronde puis à la junte ;
4- inféodé l’amas des organisations de la société civile cartables et
de mauvaises mœurs, promptes à brader leur cause au profit des éloges
du général et de la soumission à ses acolytes ;
5- réhabilité et renforcé la chefferie traditionnelle grâce à l’invention du
concept de la « Mauritanie profonde
», qui n’est autre que la résurgence, dans toute sa fange, de la
féodalité, un conclave des émirs et autres chefs de tribus et « fils de grandes
tentes » aux idées et pratiques anachroniques, tous naturellement opposés à
l’émancipation des esclaves ;
6- accentué l’assujettissement des esclaves à travers le retardement de
leur promotion socioculturelle, professionnelle et économique, eux dont
l’espoir reposait sur l’application tant attendue d’une politique
cohérente dont le Président de la République a fait la promesse.
Elle avait pour pierre de touche : la redistribution des terres
cultivables, la formation professionnelle des esclaves, l’encouragement
des investissements et des microprojets, la création d’une agence
chargée d’exécuter des programmes de développement, la discrimination
positive au niveau de l’administration et des affaires en faveur des
cadres issus des milieux esclaves.
Le général se trompe s’il
croit que les esclaves peuvent encore être leurrés. L’expérience a
prouvé que l’amélioration des conditions de vie est, certes, une œuvre
humaine ; mais elle a besoin d’être inscrite dans la durée. Surtout
quand la tâche à accomplir implique un changement de mentalité des
citoyens et repose sur la sensibilisation, l’information, la formation
et l’éducation. Mieux la lutte contre l’esclavage exige le courage et
la franchise.
On ne peut lutter contre l’esclavage en parlant avec des litotes et des
euphémismes ! Ce qu’il y a en Mauritanie s’appelle bel et bien esclavage. Que
le général visite SOS Esclaves ou qu’il se réfère aux rapports de la Commission
Nationale des Droits de l’Homme qui dorment toujours dans les oubliettes des
archives. Que d’abominations, on y verra !
Et puis c’est une aberration et une insulte à l’intelligence de tout
mauritanien, que le général parle d’esclave ou d’esclavage quand il tue
le rêve d’émancipation de tout un peuple, par le meurtre de la
démocratie ! Car, c’est l’urne qui constitue la consécration de
l’égalité et de la justice. « Un homme une voix », voilà l’expression de la
souveraineté ; voilà la voie par laquelle les esclaves seront émancipés ! Et
Ould Abdel Aziz a conspiré contre cette voie !
Les esclaves sont convaincus que celui qui ne respecte pas leur choix
et leur dignité retrouvée, ne croisera pas le fer contre leur mal.
D’ailleurs, il se trompe le général. Parce que la libération de fait
des esclaves c’est celle-là que décideront les esclaves eux-mêmes !
Ethmane Ould Bidiel
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