- Ahmed Ould Khattry
- C'est un homme
abattu, qui a du mal à réaliser ce qui! lui arrive, que nous avons
rencontré à la prison civile de Dar Naïm. Sollicité par quelques
visiteurs sur les raisons de sa présence sur les lieux alors que rien ne
l'y prédisposait, Ahmed Ould Khattri parle. Il évoque les
conditions guère dignes de son arrestation et s'étonne en même temps que
ses visiteurs des raisons de sa présence sur les lieux. Au passage,
l'homme brosse quelques unes des réalisations qu'il a accomplies à la
tête des Procapec depuis deux ans. Sûr de lui, il se sait prêt à
justifier son bilan, avec cette naïveté toute poignante. Il ne sait pas
qu'il a franchi peut-être des "lignes rouges " qu'il ne
fallait pas atteindre ou qu'il a eu le malheur d'avoir scellé des
relations coupables qui se retourneraient contre lui le moment venu.
On
pouvait presque choisir d'autres titres pour cette modeste contribution. Ces
partisans aimeraient sans doute qu'on la baptise "Ahmed Ould Khattry, le
Prix de l'Excellence", une contribution qui serait dédiée à un homme
qui, "pour ses compétences et son noble combat pour le bien de la
Mauritanie et des Mauritaniens, n'a obtenu comme suprême récompense, que les
menottes de l'avilissement et de la servitude, plutôt que les fleurs de la
reconnaissance et les faveurs de la République " comme l'auraient
soutenu ses amis.
Ces
détracteurs choisiraient quant à eux peut-être un titre moins lénifiant,
genre "Ahmed Ould Khattri, l'excellence d'un exemple ", pour
incruster ses déboires dans cette longue trame de "lutte contre la
gabegie" qui explique sa présence aujourd'hui auprès d'autres
responsables "punis pour l'exemple" et avec lesquels il fait
aujourd'hui bon ménage à la prison de ! Dar Naïm.
Pour
beaucoup, l'erreur fatale de Ahmed Ould Khattri est d'avoir justement
accompli tant de belles œuvres dans le domaine des Caisses d'épargne et de
crédit populaire, dans un lieu et à un moment mal choisi, à une période où
toute compétence est suspecte, tout trait de génie l'émanation du mal et
toute crédulité source de faiblesse.
Ces
quelques lignes sont adressées aux générations futures qui sauront
appréhender certainement à sa juste valeur la détresse d'un citoyen,
persécuté pour le simple plaisir de quelques sordides âmes. D'autres
trouveront que la complaisance est cette fois-ci tirée à son extrême,
s'agissant d'un homme sur lequel pèse déjà la présomption de culpabilité.
En
fait, Ahmed Ould Khattri avait tort, tort de mettre son intelligence et son
savoir-faire au service d'une institution qui ne devait jamais dépasser le
seuil dans lequel il l'avait trouvé, c'est-à-dire une boîte anonyme, sans
ambition, sans attrait, une planque douillette qui ne devait faire ombrage ni
aux banques, ni aux commerçants, ni aux agences de pèlerinage, ni aux agences
de change…Bref, en se laissant griser par son succès, son avidité d'espace et
sa soif de conquérir de nouveaux horizons, Ahmed Ould Khattri était devenu
l'homme à abattre d'un système qui n'aime pas le gigantisme et ne réfléchit
qu'à petite échelle. Même dans leur développement, encore plus que dans leur
philosophie politique, les Mauritaniens ne sont pas partisans de la macro
structure, mais des petites choses infinitésimales et microscopiques qui ont
l'avantage d'échapper aux radars de la supra structure.
En
tentant d'émanciper des franges jusque-là sous les bottes des nantis, ce sont
des intérêts de groupe que Ahmed Ould Khattri touchait. Ainsi, toute
politique d'enrichissement par la base en Mauritanie, devra prendre en compte
la volonté des notabilités à avoir sous la main une masse taillable et
corvéable, des partis politiques qui préfèrent tenir en laisse des militants
asservis par la puissance de la domination, des lobbies qui doivent avoir
leurs armées de gueux à mobiliser moyennant quelques sacs de blé pour toute
manifestation de soutien ou toute campagne de sape. Qu'est-ce qui empêche
jusque-là les politiques de lutte contre la pauvreté en Mauritanie de donner
des résultats, malgré les milliards de la Banque mondiale, les fonds
incommensurables engloutis par le défunt Commissariat aux droits de l'Homme,
à la lutte contre la pauvreté et à l'Insertion entre autres, si ce n'est
cette volonté pérenne de réduire la Mauritanie en archipel de misère. En
fait, il s'agit d'un fonds de commerce international assez juteux pour que
les régimes qui se sont succédés ne luttent avec férocité pour nous arrimer
aux PPTE (pays pauvre très endetté).
Créé
en 1997, les CAPEC ont fonctionné jusqu'en 2007 avec un seul Directeur,
lequel a déployé des trésors d'ingéniosité pour maintenir la structure dans
les dimensions réduites d'une petite boîte sans grande ambition ni rendement
réellement porteur. Ainsi, en dix ans de gestion, la prouesse était jugée
encourageante dans l'échelle d'appréciation locale, dans la mesure où les
Procapec ne fonctionnaient qu'avec 12 véhicules, 29 agences sur l'ensemble du
territoire national, 400 employés et 51.000 adhérents. Arrive alors Ahmed
Ould Khattry, en faveur d'une transition où il devait jouer un grand rôle. En
deux ans, il commit deux fautes impardonnables, une ambition démesurée et des
rendements de trop. Au jour de son arrestation, le 5 janvier dernier, il
laissait derrière lui, en deux ans de gestion, un parc automobile de 92
véhicules, 54 agences, 1.200 employés, 160.000 adhérents, 5 milliards de
dépôts et 4 milliards d'encours. Comme ces performances ne lui suffisaient
pas pour lui ouvrir grandes les portes de la disgrâce, il enfonça le clou en
créant de nouveaux services. Non seulement, il offrait à de petits déposants
l'accès aux crédits, permettant ainsi à beaucoup de citoyens de développer
des activités génératrices de revenus, mais il a eu aussi l'outrecuidance
d'ouvrir un nouveau type de marketing basé sur la communication, l'audace de
nouveaux projets comme l'Epargne-logement qui permettaient aux Mauritaniens
de l'extérieur d'avoir accès à un habitat décent en même temps qu'ils
drainaient dans le pays des masses considérables de devises.
Suprême
affront, Ahmed Ould Khattri poussera l'audace jusqu'à offrir aux Mauritaniens
à faibles revenus, l'occasion d'accomplir le Haj, sans compter d'autres
services qu'il a développés avec les opérateurs de téléphonie. Un tel développement
pour une structure qui devait rester à un état d'insignifiance latent, était
de trop, en même temps qu'il suscitait l'ambition de plus en plus aiguisée de
puissants lobbies qui cherchaient à contrôler cette formidable masse
financière.
Ainsi,
l'exemple de Ahmed Ould Khattri devra peut-être faire réfléchir tous les
cadres ambitieux qui chercheraient à bousculer l'ordre établi. Ce mammouth au
sang toujours neuf sait résister à la fougue de leurs nobles et juvéniles
desseins, car sa puissance est toujours là pour leur rappeler que la
Mauritanie a ses réalités que la Réalité ne connaît pas.
|