La
Mauritanie peut-elle survivre, sans esclaves?
Si un sujet a défrayé la
chronique ces derniers temps en Mauritanie, c'est bien celui de
l'existence ou de la non existence, de la légalité ou de
l'illégalité, de ce phénomène monstrueux et anachronique qu'est
l'esclavage.
Les langues se sont déliées les pharynx se
sont égosillés, les plumes se sont desséchées, sans qu'on puisse
jamais savoir si cette abomination est là, par elle-même, ou si
elle représente une échappatoire politique pour occuper les
esprits, ou une source économique pour pourvoir certaines bourses en
mal de financements.
L'esclavage, cet enfant nègre, qui se
réveille, sans crier gare, après une longue nuit de sommeil,
trouble incontestablement le repos de ceux qui ont vécu, sans jamais
se demander sur quoi ont été bâti les fondements de leur
existence.
Tandis que des lois sont votées a la hâte et a la
pelle pour incriminer ces pratiques odieuses et inhumaines, les
langues quand a elles niaient tout bonnement leurs existences et
criaient à l'imposture et à la diffamation. Certaines actions
prises a la hâte, pour venir au secours de "franges pauvres de
la population", semblent donner le contraire des résultats
escomptes.
Elles resteront très prudentes sur la définition
du statut social de ces démunis opprimées et anéanties dans ce
qu'ils ont de plus cher: leur dignité, leur liberté et leur droits
de citoyens a part entière. En somme le phénomène esclavagiste,
puisqu'il faut l'appeler par son nom sévit sans sévir, existe sans
exister.
Dans la folie du désarroi, on accuse toutes les
cibles façonnables, pour se sculpter un bouc émissaire, sur lequel
accrocher cette charogne, qui commence, à sentir et à se faire
sentir. Tantôt, c'est l'organisation des nations unis octroie un
prix de droits de l'homme a un mauvais moment a la mauvaise personne:
monsieur Biram ould Abeid.
Motif: il a eu le culot d'aller
quémander ailleurs, ce qu'il a longtemps essayé d'obtenir chez lui
en vain. Ou peut-être Israël, jalouse du progrès fulgurant de
notre pays. Ou les racistes, les extrémistes, les ségrégationnistes,
les bouddhistes, les fumistes. Tous les boucs sont bons, pourvu
qu'ils puissent servir d'émissaires.
Nous, nous ne sommes que
trois millions d'habitants. Pas de Falachas ou de diaspora a ramener
de l'extérieur. Pas d'ennemis a proximité, ni ailleurs. Nous sommes
confrontés a un sous développement endémique, qui nous empêche de
regarder nos voisins droit dans les yeux, ou de nous rassurer sur
l'avenir de nos enfants. Nous sommes réveillés par un matin du 28
novembre 1960, nous sur l'une de nos indépendances, pour replonger
aussitôt dans la léthargie de nos éternelles dépendances.
Nous
avons besoin en réalité de dépendances, plus que d'indépendance.
la culture immorale de la noblesse et du supériorat individuel, nous
obligeait, plus que tout stimulent au monde à garder quelque chose
"sous les pieds", pour jouir du sentiment d'être au dessus
de quelque chose. Un fils de "grande tente", avait besoin
de quelques petitesses autour de lui pour donner la preuve
mathématique de sa "protubérance" sociale. Sinon il
serait inferieur ou égal a ceux qui l'entourent, ce qui équivaudrait
a la banalité déshonorante. Ceci réduirait, bien sûr, la
dimension de la tente et par voie de conséquence, l'ascendance
socio-politico-économique sur la populace environnante. La nature ne
fait que créer des différences, les hommes en font des
inégalités.
Cet intérêt de domination sera plus tard
ravivé, voire enflammé et excité par la prolifération des
nouvelles ressources nationales, que la jeune république découvrira
avec les nouvelles techniques résultant du commerce avec l'extérieur
et l'exploitation des ressources et des influences.
Ce
n'étaient plus les grandes tentes, mais des maisons en briques, dans
lesquelles chacun dans une intimité plus qu'opaque, mangeait son riz
et buvait son thé. Mais c'était aussi des citoyens, possédant la
même carte d'identité, avec zéro distinction. Des sous hommes qui
commencent à réfléchir et à se considérer de plus près et a
revendiquer ce qui leur revenait de droit. Les anciens rapports
entre individus vont changer a 3600 degrés. Urgence était de
chercher dans l'arsenal de la cosmétique, a se travestir en rapports
plus présentables et plus difficiles a déceler a l'œil perçant et
réprobateur de la chartes des droits de l'homme. L'esclavage en
Mauritanie, n'est pas tel qu'on le présente. Ce n'est pas
seulement un système de domination ou d'exploitation. C'est un
comportement de mépris de l'autre pour un besoin d'affirmation
personnelle. S'il devait exister un "esclavage de luxe",
c'est sans doute chez nous qu'il se pratique. Beaucoup d'esclaves
vivent dans l'opulence et la prospérité, au sein de leur tribu,
sous le toit du maitre, à condition de baigner dans le mépris et de
garder le profil bas, pour nourrir et entretenir l'arrogance vitale
du maitre. Ils se postent ainsi dans la paradoxale situation de
victimes et de complices.
Ce mépris gratuit, n'a
d'explication que la niaiserie et la bêtise de ce noble, et
l'ignorances souvent provoquée de l'esclave. Les deux en dépit des
instructions de la religion, n'ont pas compris que seul Allah est
grand et que nul homme n'est supérieur aux autres que par sa piété
et sa vertu. Un bon nombre d'esclaves vivent sur le dos du maitre
sans travail en contrepartie. Et tel est pris qui croyait prendre,
l'exploiteur devient exploité
Beaucoup d'exactions ont été
commises au fil des pièces de ce théâtre de mauvais gout. Le
crime actuel, de ceux qui doivent résoudre ce problème qui n'a que
trop duré, est qu'ils semblent être de concert pour la destruction
de cette nation, par la banalisation de ses maux. La destruction de
tout un pays, pour des problèmes de ventre d'un peu plus bas que le
ventre ou d'une vanité qui frise le ridicule. La contemplation
passive, en spectateurs dilettantes des problèmes du pays. La
faute de ceux qui militent dans les rétablissements de ces droits(
qui ont raison sur un certain plan, mais seulement sur un certain
plan), est qu'ils veulent tout et tout de suite. Ce qui risque
d'étouffer ou de rester en travers d'une mentalité nationale encore
immature et longtemps manipulée par tous les stratèges du faux de
la féodalité et de la désinformation religieuse.
La
Mauritanie fait face a l'époque la plus cruciale de son histoire.
Les dangers menacent de partout, le pays se disloque peu a peu sous
l'œil ensommeillé et torve de ceux qui n'hésitent pas dépenser
toute l'économie du pays pour se faire élire, réélire et élire
encore une fois. Se faire élire pour la cause du peuple, pour faire
vivre le peuple sur des sables mouvants, qui menacent de l'engloutir
a tout instant et à tout jamais. Faire vivre des populations
hypnotisées par les mensonges et le bluff sur un plateau branlant au
bout d'une pente dangereuse, qui risque de les verser a tout moment
dans les fonds insondables des abimes de la division, de la zizanie
et de la discorde.
33 ans après la énième abolition de
l'esclavage par l'ex président Mohamed Khouna ould Haidalla, le pays
continue a tergiverser timidement sur l'interdiction de ce fléau
destructeur de toute unité nationale et frein de toute évolution du
pays. Qui a intérêt a garder le pays dans le doute, la suspicion
et la honte? Tous ces "hommes forts" qui se succèdent au
gouvernail de la barque nationale, sont-ils lamentablement incapables
de résoudre un problème, dont l'histoire a déjà entamé
inexorablement la solution? Ces générations qui se suivent a la
barre du pouvoir et dont chacune damne et condamne sa précédente,
sont elles impuissantes a tenir parole, ne serait ce qu'une seule
fois, et instaurer la paix, l'égalité et la justice entre les
éléments de cette société? Ces érudits qui ont cautionné cette
pratique au nom de la religion, n'ont-ils plus un reste de courage et
d'honnêteté religieuse, pour demander pardon à Dieu et aux hommes?
L'esclavage en Mauritanie a commencé à dépasser sa propre
dimension, pour enfanter d'autres problèmes dont les séquelles ne
seront pas aussi évidemment solubles que le problème d'origine. Des
hommes pouvant encore respirer l'oxygène a la surface de la terre,
défient la volonté divine et persistent à troubler la quiétude,
et la sérénité qu'Allah a accordé gratuitement à ses créatures.
Ils perdent un temps, qui ne leur permettra pas de le
rattraper. Plutôt que les élections, plutôt que les séminaires
de "compétences et d'expertises", plutôt que les
téléthons télévisés plutôt que la formation de soixante deux
partis politiques, (qui se déchirent voracement pour aggraver les
divisions et les dissensions), plutôt que les routes, les aéroports
et les édifices, les nominations les décorations, la priorité doit
être à la réconciliation du mauritanien avec le mauritanien. Le
rétablissement d'une justice, juste déterminée et équitable entre
toutes les couches, les ethnies et les "sous ethnies" de
cette société composite, qui se décompose a vue d'œil et a la
vitesse de l'éclair. Le statut quo demeure, au vu et au su des
gouvernants du pays. Dans certaines communes le même ancien maitre,
guerrier ou marabout, continue a trôner sur les corps épuisés de
ses anciens serfs, convertis en électeurs improvisés et sous la
blancheur éclatante de la légalité. Est-il moral de justifier
et d'entériner un tort, même parfumé de l'encens démocratique et
enrobé de l'arome de la légalité? L'état doit pouvoir prendre des
mesures correctrices dans de telles circonstances. Sinon rien ne
changera. Le monde demande démocratie et droits. Les loups se
maquillent en démocrates et en prêcheurs invétérés de droits de
l'homme, et le tour est joué. Les termes a caractères racistes
ou ségrégationnistes doivent être interdits et sujets d'amende ou
de prison. Les chances doivent être égales et de façon claire et
limpide, comme l'eau de roche. Un dialogue franc et direct entre
les composantes de notre société serait d'un grand bénéfice et
crèverait cet abcès qui risque de s'immuniser contre toute forme
d'antibiotiques, et nous conduire tant que nous sommes a notre perte
et a la destruction de la nation entière. S'il y a un luxe et un
honneur duquel la Mauritanie peut se passer en bon débarras, ce ne
peut être que ce rapport tordu et infamant qu'est
l'esclavage.
Mohamed Hanefi. Chef. Dép. De français
Koweït.
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