Bonjour Ould Ciré, je
t'envoie le texte de Boye.
le bonjour de Cheikh
Oumar
Objet
: Aller vers les autres ou l'art de concéder sans se
compromettre Aller
vers les autres sans se renier ou l’art de concéder sans se
compromettre
Par
Boye Alassane Harouna
aussi,
et avant tout, membre de la Direction nationale des FLAM et
secrétaire aux relations extérieures.
C’est
cette dernière fonction, à mon sens, qui l’a conduit à assumer
la première.
Comment,
dès lors, être à la fois l’un (Président du F O M E) et
l’autre (Secrétaire aux relations extérieures des FLAM), tout
en restant en accord avec soi-même – politiquement s’entend ?
Autrement dit, comment sauvegarder son identité première
(secrétaire aux relations extérieures), tout en se moulant dans
la seconde (Président du F O M E) ? Comment concilier ces deux
fonctions ? Comment, surtout, les exercer, à la fois sur le plan
discursif et pratique, sans y perdre son âme, sans que l’une
altère ou dilue l’autre ? L’exercice relève de l’art
politique ; il n’est pas aisé, il peut même être
périlleux. L’entretien que Bâ Mamadou Bocar vient d’accorder
à FLAMNET en est une illustration à bien des égards. Certaines
réponses fournies par mon ancien compagnon de détention dans les
forts de Oualata et d’Aïoun me posent plus d’interrogations et
d’inquiétudes qu’elles ne m’apportent de clarification et de
précision. Flou, voire contradiction, dans la formulation ;
superficialité dans l’approche et l’appréhension de certaines
questions fondamentales d’ordre programmatique ou stratégique
(question nationale…), ou d’ordre tactique (lucidité dans
l’identification des partenaires et alliés politiques objectifs,
et la gestion efficiente des divergences qui peuvent surgir dans le
cadre du travail partenarial) ; approximation dans l’énoncé de
certaines réalités ; bref, nombreux sont les propos tenus par Bâ
Mamadou Bocar qui en portent la marque. Survolons-les rapidement.
1.
À propos de la question nationale
Mamadou
Bocar la décompose en « plusieurs volets » qu’il énumère : «
langues nationales, réforme foncière, réforme de l’éducation,
de l’administration territoriale, etc. » Il faut, peut-être,
ranger dans le « etc.» la question des réfugiés, le passif
humanitaire et tout ce qu’on voudra ; tout, sauf l’essentiel, le
fondamental, le « ce » sans quoi la question nationale, n’en est
plus réellement une, parce que vidée de sa substance, à savoir la
question de la refonte de l’État mauritanien, de la
réorganisation du pouvoir politique, de sa gestion commune et
équilibrée par les deux communautés du pays – les
arabo-berbères et les Négro mauritaniens. C’est cela le cœur
de la question nationale. C’est cela sa spécificité objective,
non pas telle que voulue ou imposée par des opposants ou
nationalistes Négro- mauritaniens, mais telle qu’elle découle de
quarante–cinq ans d’exercice monopoliste du pouvoir par les
arabo-berbères, et la gestion scandaleuse de la cohabitation par un
pouvoir raciste.
Dans
un article daté du 28 novembre 2003[1] , publié par Flamnet, je
mentionnais, à propos de la question nationale, ceci : « Les FLAM,
dans diverses occasions, par la voix de son Président ou de sa
Direction nationale, ont eu à mettre en garde contre l’amalgame
qui consiste à prendre les effets pour la cause. Éradiquer le
racisme d’État, c’est une chose ; traiter ses douloureuses
conséquences, en est une autre, à la portée de n’importe quel
pouvoir politique, pour peu qu’il en ait la volonté.
Il
nous faut donc aller plus loin. Il faut avoir le courage d’aller
plus loin. C’est-à-dire poser frontalement la question de fond :
la question nationale, la question de la cohabitation entre
Arabo-bérbères et négro-africains. Là est le cœur du problème
: il se pose, à mon avis, en terme de partage du pouvoir politique
par une gestion confiante, parce que conjointe et équilibrée, des
affaires du pays par ses deux composantes. L’expérience politique
du pays, ses crises répétitives, de 1960 à nos jours, nous
montrent que seule cette solution peut nous épargner la
reproduction dans le futur des crises et conflits
intercommunautaires passés. Seule cette solution me paraît apte à
offrir au pays la garantie d’une stabilité, d’une paix civile
durable, parce que bâtie sur une base égalitaire ; seule cette
solution peut créer les conditions d’un développement
économique.
C’est
pourquoi, l’alternance, pacifique ou pas, ne doit pas simplement
se limiter à un simple
changement
d’hommes à la tête de l’État ni à instaurer et approfondir
la démocratie. Dans le cas particulier de la Mauritanie, il faut
rompre avec tout un système politique qui repose fondamentalement
sur le racisme d’État. Pour se faire, il faut élargir la notion
d’alternance politique pour y introduire la dimension : gestion
conjointe et équilibrée du pouvoir politique par les deux
composantes du pays. Ce qui veut dire concevoir et façonner un
nouvel État (unitaire ou fédéral) et de nouvelles institutions à
partir du principe – qui devra devenir constitutionnel – d’un
exercice conjoint et équilibré du pouvoir politique par les
Arabo-bérbères et les Négro-africains. »
Pour
tout dire en faisant court, qu’est-ce, au fond, le Fédéralisme,
si ce n’est la réorganisation de l’État, en fonction des
spécificités du pays, pour aboutir, par la décentralisation, à
une gestion conjointe et apaisée des affaires de l’État !
Je
suppose que Bâ Mamadou Bocar, dans sa pratique politique, y compris
au sein du FOME qu’il préside, ne perd pas de vue l’option
fédérale des FLAM en tant que solution de la question nationale.
Il est bon qu’il en tienne compte, y compris quand il parle en
tant que Président du FOME. Ce qui ne me semble pas être le cas
quand il réduit la question nationale à une question de langues ou
à d’autres questions, certes importantes, mais périphériques
par rapport à la question centrale, celle du partage du pouvoir
politique par sa gestion conjointe entre les deux communautés du
Pays. Il s’agit, comme je l’ai mentionné plus haut, d’être
en accord avec ses principes ; il s'agit de savoir être à la
fois Président
du
FOME et membre de la Direction nationale des FlAM et secrétaire aux
relations extérieures. Exercice difficile. J’en conviens. Mais
il faut s’y habituer…
Et
puisque, comme l’affirme Bâ Mamadou Bocar, « le FOME est un
cadre de réflexion et de débat autour des problèmes majeurs…»
et ce, sans « tabou ni langue de bois », eh bien, il lui
appartient de s’appliquer le principe par lui énoncé ,
c’est-à-dire exposer à nos partenaires du FOME, pour une
discussion franche et sans « tabou », la question centrale au cœur
de notre combat politique, c’est-à-dire la question nationale
telle qu’elle est perçue et formulée par les FLAM.
2.
Se contenter du minimum, le départ de Taya, ou élargir notre
vision du futur au-delà de la chute de Taya ? Que toutes les
composantes du FOME militent pour le départ de Taya n’exclut pas,
comme le prétend Mamadou Bocar, l’existence de « cacophonie »
et d’autres dissonances entre elles. N’est-ce pas secontredire
que de nier l’existence, au sein du FOME, de « cacophonie », et
admettre en même temps, que la diversité des organisations qui le
constituent et sa jeunesse (le FOME) donnent forcément lieu à
«
des différences d’approche ». La « cacophonie » niée,
n’est-elle pas le produit de ces « différences d’approche » ?
Plutôt
que d’occulter la réalité des dissonances au sein du FOME, il
faut les cerner, les clarifier aux yeux de tous, à défaut de les
aplanir.
Ce
qui fait divergence au sein de l’opposition mauritanienne,
aujourd’hui, qu’elle soit de l’intérieur ou de l’extérieur,
qu’elle soit qualifiée de radicale ou d’extrémiste, de timide
ou de molle, ce n’est pas l’objectif qui consiste à œuvrer
pour la chute de Taya. Là dessus, tout le monde est quasiment
d’accord.
Comment
faire partir Taya ? À qui faut-il tendre la main pour le faire
partir ? Quels moyens faut-il mobiliser et mettre en œuvre pour le
faire partir ? Quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir pour
le faire partir ? C’est autour de ces questions que surgissent les
divergences. Et c’est dans l’ordre normal des choses ; car, en
règle générale les divergences apparaissent beaucoup plus dans la
conception des orientations tactiques que dans la définition des
objectifs stratégiques.
Dans
le cas qui nous occupe – le FOME– s’il y a des organisations
qui n’excluent aucune option pour l’avènement de l’alternance
politique en Mauritanie, d’autres, comme l’AJD, préconisent le
changement par la voie démocratique. Voilà un point de divergence
à admettre et à gérer.
Quant
à notre ami Ould Ciré, même s’il s’est mis en marge du FOME,
il y a objectivement sa place pour de multiples et solides raisons.
Par rapport à l’esclavage en Mauritanie, il développe une
analyse et une position originales par leur caractère dissident.
J’estime que son approche sur la question de l’esclavage offre
plus de garantie pour une émancipation irréversible de l’entité
Haratine. Son apport, au texte « fondateur » du FOME en est
une preuve. Pour toutes ces considérations, Ould Ciré et
l’organisation qu’il représente constituent un allié objectif
de qualité, aujourd’hui, et de poids, par son nombre, demain. Un
terrain d’entente doit pouvoir être trouvé avec lui…
Le
Président du FOME estime, à juste titre, que le racisme et
l’esclavage « doivent être pris en charge par tous les citoyens
honnêtes et sincères.» Mais le secrétaire aux relations
extérieures des FLAM qu’il est, aussi, doit s’empresser
d’ajouter, et il aura raison, que le combat contre le racisme
d’État dont les négro- mauritaniens sont victimes doit être
conduit, dirigé, impulsé par les négro- mauritaniens eux-mêmes.
De
la même manière, le combat pour leur affranchissement doit être
mené avant tout, par les haratines eux-mêmes.
Les
haratines et les négro-mauritaniens doivent être eux-mêmes à
l’avant-garde de ces combats-là, qui sont d’abord les-leur. Ils
doivent s’assurer qu’ils ne soient pas dévoyés. Il s’agit là
d’un principe de base qui ne doit souffrir d’aucune ambiguïté.
Une simple observation des réalités politiques du pays depuis
quarante-cinq ans montre qu’il est naïf et absurde de soutenir le
contraire.
Il
faut certes mobiliser toutes les énergies pour ces combats. Mais un
responsable politique doit faire preuve de discernement, et savoir
dissocier le principal du secondaire. En l’occurrence, ce qu’il
faut d’abord sensibiliser et mobiliser pour mener la lutte contre
la discrimination raciale et l’esclavage, ce sont d’abord les
négro -mauritaniens et les haratines. Car, c’est l’évidence
même, personne d’autre ne les mènera à leur place. Ce n’est
que lorsque, par leur engagement, ils se seront rendu crédibles,
qu’ils verront affluer, venus leur apporter leur soutien, leur
exprimer leur solidarité, des hommes et des femmes, nationaux ou
étrangers. Du rôle
4.du
peuple et de l’élite politique dans la chute des dictatures.
«
Les peuples se révoltent contre leurs despotes.» Oui, au final,
les peuples se révoltent toujours contre l’insupportable
instauré. Oui, à l’arrivée, les peuples ont toujours le dernier
mot, parce que face au despotisme, quand ils laissent parler leur
fureur, rien ni aucun tyran ne peuvent leur résister.
Mais
cela n’est vrai, mon cher Président et ancien compagnon de bagne,
que lorsque l’élite,
intellectuelle
mais surtout politique, ne déserte pas le champ de bataille sous
des prétextes bidon ; cela n’est vrai que lorsque l’élite
politique – c’est-à-dire les opposants conséquents – assume
jusqu’au bout sa responsabilité et joue pleinement son rôle
d’avant-garde, qui consiste à organiser, encadrer, orienter,
réajuster, anticiper, recadrer les luttes et les révoltes
populaires contre les dictatures. Sans ces conditions
incontournables, les victoires sont, au mieux, partielles, au pire,
usurpées. Si les tyrans ont été déposés au Mali, en Pologne, en
Roumanie, en Serbie, en Georgie, hier, et en Ukraine ces derniers
jours, c’est précisément parce que dans chacun de ces cas, nous
avons eu affaire à des opposants lucides, audacieux prévoyants et
déterminés. Des opposants qui surent occuper le terrain et non le
déserter, maintenir la pression tout en étant aux côtés des
populations. Des opposants qui surent animer et conduire les luttes
populaires.
Nous
avons tous vu à la télévision les dirigeants de l’opposition
ukrainienne dans les rues, par une température de moins 10 degrés,
aux côtés des manifestants. Nous les avons vus mettre en œuvre
d’énormes moyens logistiques (soins, nourriture, vêtements,
abris…) pour soutenir les manifestants et assurer ainsi la
continuité de la pression populaire. En l’absence de ces
conditions, il y a peu d’espoir de voir la chute des dictateurs au
terme d’une révolte populaire, si tant est que celle-ci puisse se
produire dans de telles circonstances.
Il
importe donc, dans la lutte pour la conquête du pouvoir, de cerner
clairement à chaque étape, la place et la mission dévolues au
peuple et à son avant-garde organisée individuellement en parti,
ou collectivement en front de partis ou de mouvements, dans le cadre
d’une alliance politique.
Pour
des opposants conséquents, les alliances ou les regroupements
politiques du type FOME sont inéluctables. Ils sont dictés, voire
imposés par les circonstances. Y participer ne veut pas dire se
renier, abandonner ses principes, sa ligne politique, ou taire son
discours.
Il
faut, dans le respect des autres et de leurs idées, affirmer les
siennes et son identité dans toutes ses facettes. Le faire avec
intelligence et souplesse. Mais avec clarté et fermeté. C’est à
cette condition, mon cher Président, que le FOME pourra s’enrichir
de l’apport de toutes ses composantes.
Etouffer
l’expression des identités, diluer la substance de sa ligne
politique dans des platitudes au prétexte non avoué de sauvegarder
la cohésion du FOME – ou de tout autre partenariat politique –,
c’est, sans aucun doute l’appauvrir et le condamner à
disparaître plus vite qu’il n’aurait dû.
Boye
Alassane Harouna
Le
30-12-2004
[1]
Alternance pacifique dans un contexte totalitaire : hypothèse
crédible ou utopie ?
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