L’irrésistible ascension d’officiers très ordinaires : «
Malheureux le pays qui a besoin de héros»
L’armée, par le
biais du Haut Conseil d’Etat, ambitionne d’étendre sa toile sur
l’ensemble des pouvoirs. Au centre de la toile, trônent un homme et son
ombre.Entre les deux, il ya une amitié vraie, plus profonde qu’une fraternité
d’armes, la rencontre de deux âmes sœurs. Deux êtres dissemblables et
complémentaires.
O. Abdel Aziz a la réputation d’un homme à l’ambition dévorante,
renfermé, coupé des réalités sociales, trop longtemps enfermé dans un Basep
devenu une part de lui-même. Pour ceux qui connaissent Ghazouani, il est
l’affabilité faite homme. Une urbanité exquise, une solide culture
maraboutique, et une fidélité à toute épreuve à son ami.
Tous deux ont été formés au Maroc, à l’école militaire de Meknès
(O. Abdel Aziz est d’une promotion avant), vaste complexe où se côtoient
des cursus de haut niveau et des formations moyennes pour élèves officiers
provenant de pays démunis, et au bagage intellectuel plutôt limité.
Tous deux ont été
formés au Maroc, à l’école militaire de Meknès (O. Abdel Aziz est
d’une promotion avant), vaste complexe où se côtoient des cursus de haut niveau
et des formations moyennes pour élèves officiers provenant de pays démunis, et
au bagage intellectuel plutôt limité. Après trois ou quatre années
d’apprentissage du terrain, tous les deux sont mutés à la présidence. O.
Abdel Aziz est aide de camp du président du CMSN, et Ghazouani
son adjoint, et déjà son ombre. La tentative avortée de coup d’Etat des jeunes
officiers négro-africains (octobre 87) et les événements des années 89-91
donnent un premier coup d’accélérateur à leur carrière.
L’officier en charge de la sécurité présidentielle étai alors le lieutenant de
gendarmerie NGaïdé Aliou Moktar. O. Taya a pour le jeune officier une
réelle affection. Sa participation à la conjuration est ressentie par le chef
d’Etat comme une trahison, et contribue, probablement, à renforcer une paranoïa
anti- négro-africaine naissante, et à nourrir une hantise du complot noir qui
l’habitera longtemps. De la conjuration et de la "trahison", O.
Taya et ses conseillers tirent un axiome et un projet.
L’axiome, c’est que les "K’wars" ne méritent pas la confiance.
Le projet est celui d’une unité militaire spéciale assurant la sécurité
présidentielle. L’idée du Basep est née. O Abdel Aziz est chargé de sa
création. Il se consacre corps et âme à cette tache et, à l’exception de deux
ou trois années de traversée de désert, y consacre toute sa vie de soldat.
Selon des officiers qui ne le portent pas dans leur cœur, il doit son exil du
Basep au chef d’état major de l’époque, le général Boukhreïss, qui le
soupçonnait d’avoir quelques vilaines idées derrière la tête.
Près de vingt ans après sa création, l’axiome qui a fondé le Basep reste
étrangement vérifiable : sur les quelque 350 hommes du bataillon, les éléments
négro-africains, s’il en existe, doivent se compter sur les doigts d’une seule
main C’est Ghazouani qui remplacera O Abdel Aziz au poste d’aide
de camp de O. Taya, avant de prendre en charge le bataillon des blindés,
en phase de création, et qui est le fruit d’une coopération alors active entre
la Mauritanie et l’Irak de Saddam Hussein.
Le deuxième coup d’accélérateur sera donné par l’insurrection, le 8 juin 2003,
lorsque Hanena et ses compagnons d’aventure, réussissent à investir la
présidence, humilient l’état major de l’armée et se lancent à l’assaut du
pouvoir. La résistance des hommes du Basep signe l’échec de la
tentative, et tout le mérite en rejaillit sur le lieutenant-colonel O. Abdel
Aziz. Au moment des faits, Ghazouani était en formation à
l’étranger. Il est rappelé d’urgence et s’attèle à la remise à flots du
bataillon des blindés.
Cette œuvre accomplie, il sera muté au 2e bureau (Renseignements) de l’état
major. Les deux amis gagnent en notoriété au sein de l’armée, mais, surtout,
consolident le capital de confiance dont ils jouissent auprès de O. Taya,
qui les associe étroitement à toutes les actions liées à la sécurité, sans se
douter qu’eux rêvent déjà d’un autre destin. Le 3 août 2005, ils renversent O.
Taya, et se donnent le troisième coup d’accélérateur. Puis réussissent à
déjouer les manœuvres du cousin Ely O. Mohamed Vall et à installer leur"candidat"
à la présidence de la République.
Chef d’état major particulier du président, O. Abdel Aziz occupe un
bureau plus imposant que celui du secrétaire général de la présidence. Son ami
Ghazouani est lui resté à la direction générale de lé Sûreté nationale, poste
qu’il occupe depuis le coup d’Etat. Mais il ne suffit pas d’être au sommet, il
faut contrôler l’armée. Ce sera très vite fait. O. Abdel Aziz se voit
octroyer des prérogatives d’un chef d’état major général des armées avec un
quasi droit de veto sur toute décision concernant la sécurité et les forces
armées.
Du jamais vu ! Le chef d’état major de l’armée voit le mouvement des officiers
qu’il a soumis à la signature du président remanié de fond en comble et,
comprenant que la donne a changé, remet sa démission. Il est remplacé par le
colonel Félix Négri. Quelques mois plus tard, sur proposition,
semble-t-il de Zeine O. Zeidane, Premier Ministre, le colonel O.
Abdel Aziz est élevé au grade de général, et quelques semaines plus tard,
les colonels Ghazouani, puis Félix Négri bénéficient d’une promotion
identique.
Un, au moins, des officiers ne remplissant pas les conditions définies par le
règlement régissant l’avancement des officiers, il semble qu’il a fallu
remanier le texte fautif, en réduisant de quatre à deux ans l’ancienneté dans
le grade de colonel nécessaire pour avoir droit aux galons de général. Toujours
est-il qu’en l’espace de quelques mois, la Mauritanie a multiplié par
quatre le nombre de ses généraux. Du jamais vu, encore une fois ! La révolte de
celui qu’ils croyaient être leur instrument, va les contraindre à sauter à
l’ultime étape de carrières jusqu’ici riches de dénouements heureux.
A l’annonce du limogeage des trois généraux, Ghazouani (passé chef
d’Etat Major de l’armée) est en tournée à l’intérieur du pays. C’est O.
Abdel Aziz qui prend les choses en main, secondé par Négri (qui
dirige la Garde nationale) et le lieutenant-colonel Mahfoud O. Sougoufara (responsable
du bataillon de commandement et de sécurité à l’état major, et ancien adjoint
de O. Abdel Aziz au Basep).
Leur forfait accompli, il ne leur reste plus qu’à convoquer des états généraux,
et à leur donner mandat d’accepter, au nom du peuple, un nouvel axiome :"la
politique est une chose trop sérieuse pour qu’on la confie à des civils".
On comprend un peu mieux pourquoi le limogeage, moins d’une année après leur promotion,
a pu les conduire à un pronunciamiento dans lequel la préméditation et le
désespoir sont inextricablement mêlés, et dans quelle mesure les frustrations
et les colères de deux ou trois individus bien placés peuvent quelquefois
donner le hoquet à l’Histoire.
Le 07/01/09
Abdoulaye Ciré Bâ
Source : Biladi
(Mauritanie)
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