Niger : les tontines de la
réussite
(Syfia Niger) Dans les grandes villes du Niger,
pour faire face ensemble aux difficultés économiques, les femmes ont
modernisé les foyandi, sorte de tontines d'entraide. Certaines ouvrent des
boutiques, créent de petites unités de fabrication de jus de fruits,
deviennent vendeuses de pagnes ou de chaussures. Une émancipation économique
pas toujours bien perçue par les hommes…
Des femmes arrivent les unes après les autres
dans la maison d'Hadiza, à Niamey, la capitale nigérienne En cette fin de
matinée de décembre, c'est elle qui reçoit aujourd'hui le foyandi. Dans la
cour, où flotte l'odeur appétissante de la sauce arachide, on s’échange les
nouvelles du quartier. Après le déjeuner, Habsatou, la caissière, collecte la
cotisation mensuelle (10 000 Fcfa – 15 €) de chacune des 30 membres. C'est au
tour d'Hadiza d'encaisser les 300 000 Fcfa (460 €) de la tontine. Sourire aux
lèvres, elle annonce : "Je vais pouvoir acheter un réfrigérateur pour
vendre des jus de fruits." Avant de se quitter, les femmes procèdent à
un tirage au sort entre celles qui n’ont jamais reçu l’argent afin de
désigner l'heureuse élue du mois suivant.
Dans les grandes villes du Niger, les clubs de ce genre se comptent par
centaines. Leur origine remonte à l'indépendance, en 1960, explique une
pionnière, Aichatou Moussa, 72 ans. À l'époque, les promotrices, des femmes
fonctionnaires, se retrouvaient avec leurs sœurs ménagères pour faciliter
leurs échanges. "Seules les femmes mariées étaient acceptées et la
tontine était en nature. Chaque membre apportait un morceau de savon",
se souvient-elle. "Nous nous réunissions uniquement à l'occasion des
mariages ou des baptêmes pour partager nos joies et nous entraider dans le
travail. Nos maris nous encourageaient", précise Habsou Boubacar, 74
ans, ancienne chef de club.
Nouvelle génération, nouvelle formule
Les années ont passé et ces cercles de femmes ont évolué. De l’avis du
sociologue Djaharou Moussa, leur transformation est le fruit de la démocratie
instaurée dans le pays en 1990. "Nous nous sommes structurées pour que
toutes puissent adhérer. Les cotisations mensuelles varient de 5 000 à 60 000
Fcfa (7 à 90 €). Les femmes choisissent leur club en fonction de leurs
revenus", résume une enseignante, membre d'un foyandi où la cotisation
est de 50 000 Fcfa (75 €) par mois "Je souhaite ouvrir une boutique de
fournitures scolaires", poursuit la jeune femme qui recevra bientôt, à
son tour 500 000 Fcfa (750 €), comme son amie, qui gère avec succès un
commerce de location de chaises.
En raison du versement irrégulier des salaires et de l’instabilité politique
à la fin des années 1990, fonctionnaires, ménagères, commerçantes, femmes
mariées et jeunes filles ont pris l'habitude de participer à ces clubs sans
distinction d’âge. Certaines se regroupent par profession. "Aujourd’hui,
c’est une stratégie de lutte contre la pauvreté", analyse Hadjia Fati,
membre de l’Association des femmes du Niger. "L’argent encaissé est en
grande partie utilisé dans l’ameublement de la maison. D’autres
l’investissent dans l'élevage de gros ruminants ou le petit commerce",
précise-t-elle.
Ces apports ont permis à bon nombre de femmes d'ouvrir des boutiques, de
devenir vendeuses de pagnes ou de chaussures, patronnes de petites unités de
fabrication, de jus de fruits, par exemple… "Grâce au foyandi, j’ai un
restaurant et je prends en charge la scolarité de mes deux enfants qui sont
au collège", se réjouit, pour sa part, Nana Fatchima, 39 ans.
Indépendance économique
Une émancipation en général assez mal perçue par les hommes… "La plupart
d'entre eux sont contre l’indépendance économique des femmes", observe
l'une d'elles en écho à diverses accusations masculines. "Le montant
élevé de la cotisation rend les femmes très avides d’argent", assure
ainsi un électricien dont la femme dirige un foyandi. "Pour cotiser, les
jeunes filles ont recours à plusieurs pourvoyeurs de fonds", déplore un
étudiant, abandonné par sa dulcinée, car il était incapable de payer.
"Certaines sont membres de plusieurs groupes ce qui les oblige à cotiser
plusieurs fois et à abandonner leurs foyers plusieurs week-ends de
suite", regrette, enfin, un fonctionnaire à la retraite. Des excès que
reconnaît Djamila Boubacar, ménagère, elle-même membre de deux clubs :
"Le mari est tout le temps sollicité pour endosser les charges induites
par le foyandi. Cela est le plus souvent source de problèmes."
Malgré certaines dérives, beaucoup d'hommes voient dans ces groupes un cadre
de solidarité dans une société de plus en plus dominée par l’individualisme.
"Le partage des joies et des peines renforce la sociabilité, se félicite
El hadji Zakari. Collectivement, les femmes peuvent combattre la
pauvreté."
Souleymane Saddi Maazou
Source : Syfia International 2006
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