- Très grave. Très grave, ce qu’a dit l’Imam de la Grande
mosquée dans son prêche à l’occasion de la fête. Très grave.
Pour notre religion dont il a
dit qu’elle ne reconnaissait pas les libertés individuelles ni la démocratie
et tout ce qui en découle. Pour notre système politique qu’il a renié en
affirmant que l’on doit obéissance absolue au maître du moment. Pour notre
pays dont il a remis en cause les fondements principaux.
Ce n’est certes pas le premier
discours controversé de cet imam. Mais j’estime qu’il est temps de réagir à
ce que cette autorité morale et religieuse dit. Surtout dans une conjoncture
comme la nôtre. Contrairement à ce qu’a dit l’Imam, nous avons besoin de la
démocratie comme cadre d’évolution. La démocratie n’est pas antinomique de
notre Sainte religion. Et, si l’Imam ne le sait pas, il faut le lui dire, le
débat sur le droit des hommes à choisir leur système de gouvernement en terre
d’Islam, ce débat a été épuisé depuis la Nahda.
A l’image de notre élite en
général, l’Imam de la Mosquée n’a pas pensé aux conséquences et à la portée
de ses propos. En voulant exprimer son soutien aux autorités du moment, il a
parlé comme n’importe qui. Alors qu’il n’est pas n’importe qui…
Qu’est-ce qui peut expliquer
la propension de notre élite à tant d’irresponsabilité ?
Un diplomate étranger
chevronné nous disait l’autre jour que durant sa longue expérience mondiale,
il n’a jamais vu avant ces jours-ci un responsable politique souhaiter – à
plus forte raison demander – des sanctions contre son propre pays.
De ce que disent les
étrangers, nous retiendrons deux éléments : la solution ne peut être que
mauritanienne et pour y arriver, il faut un dialogue mauritano-mauritanien.
Cela suppose l’acceptation
d’aller à la concertation prochaine. Seuls les absents auront tort. Comme par
le passé. Le boycott est toujours le pire des choix parce qu’il mène à
l’exclusion. Les politiques n’arrivent pas encore à tirer cette leçon. Nous
savons aujourd’hui que le «péché originel» de l’opposition en Mauritanie a
été le boycott de 1992. Seize ans après, la même opposition – ou presque –
vient de boycotter la session ordinaire du Parlement et s’apprête à faire de
même avec les états généraux de la démocratique qu’on voudrait fondement
d’une nouvelle Mauritanie.
Certes, les gouvernants
actuels sont appelés à faire des concessions et au plus vite. Parce que,
comme le disent les diplomates, le temps presse pour le pays auquel il faut
éviter l’entrée dans la spirale des sanctions.
Les gouvernants actuels n’ont
pas le droit à l’erreur. Et on peut leur pardonner les errements de ces
quatre mois seulement s’ils se précipitent à «corriger le tir». Eux qui
veulent appeler ce qui s’est passé «mouvement de rectification» doivent
fournir des efforts supplémentaires pour que leur acte ne soit pas un coup
d’Etat de plus.
Les auteurs du 3 août et de la
transition se rendent-ils compte des reculs observés depuis quatre
mois ? Par rapport même aux idéaux qu’ils se sont fixé. Les médias
publics sont redevenus ce qu’ils étaient avant le 3 août. Il est vrai que la
mise au pas a commencé en avril 2008, mais cela n’excuse pas la chape de
plomb après. L’implication de la presse a connu un net recul. Les
manifestations publiques sont suspendues.
Le prétexte est le caractère
exceptionnel de la situation. Mais la chape contribue à amplifier ce
caractère exceptionnel, et vice versa.
Evitons à notre pays d’entrer
dans le cycle de la stigmatisation. Il lui sera difficile d’en sortir après.
Il y a un an et quelques
jours, le gouvernement de Zeine Ould Zeidane revenait victorieux de Paris où
la communauté internationale s’était engagée à mobiliser plus de deux
milliards de dollars pour le développement du pays. Cela lui avait valu une
cabale de la part de ceux qui allaient composer la direction du parti Adil et
qui renouaient avec les relents anciens en guerroyant les uns contre les
autres. L’opération de sape de cette image-ressource a commencé là.
Dans quelques jours, le 24
décembre, il se sera passé un an sur l’assassinat des quatre touristes
français près d’Aleg. A l’origine : le laisser-aller sécuritaire
institué en politique de gouvernement. Cet événement est venu rappeler à nos
dirigeants que le terrorisme est une menace qui pèse sur le pays, à l’élite
que les dérives sont nombreuses et dangereuses, à la population que
l’angélisme d’antan est largement dépassé…
C’était le début de la fin de
l’image-ressource. La Mauritanie renouait avec l’incertitude. Ce qui
empoisonnera la vie jusqu’au jour où les rues de Nouakchott verront les
premières opérations terroristes à ciel ouvert.
Nous avons tendance à oublier
tout cela. Alors que tout cela – y compris les manifestations
d’octobre/novembre 2007 qui ont causé mort d’homme – tout cela fait
l’Histoire. Dans une société «normale», l’Histoire est faite de
l’accumulation de tout cela. Avons-nous cessé d’être «une société
normale» ?
Le
16/12/2008
Source
: la-tribune.info
MFO
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