A.H.M.E.
ARTICLE 17 :
Le passé et le présent tu des palestiniens africains
Le passé caché et le présent tu des palestiniens
africains ( Noirs palestiniens)
Ce texte est extrait du livre REFLEXIONS ON ARAB-LED
SLAVERY OF AFRICANS (Réflexions sur
Lors d’une
visite dans la bande de Gaza dans le cadre d’un projet financé par l’Union
Européenne, pour l’évaluation et l’amélioration de la santé des mères et des
enfants palestiniens, je me suis trouvée confrontée à un problème social si
sensible que personne ne voulait en discuter. Nous traversions en voiture un
camp de réfugiés avec un collègue palestinien lorsque je vis un groupe de
femmes d’apparence sub-saharienne, qui étaient vêtues et marchaient de la même
manière que les locaux. Je demandais à mon collègue : « Qui
sont-elles ? » Il me répondit à la dérobée: « elles sont
africaines, nous les aimons bien ». Je sentais que c’était là un sujet
délicat qu’il ne souhaitait pas aborder. Je ne posais plus de questions mais La plupart de mes collègues du projet européen trouvaient que ma tentative d’aborder la question négligée et sensible de l’histoire de ces gens était déplacée et inutile pour la lutte actuelle. Bien qu’il soit reconnu par les Palestiniens que la région a été peuplée par des gens venus d’Asie, d’Afrique et d’Europe pendant des milliers d’années, les conflits territoriaux actuels sont des problèmes plus urgents à régler que la recherche de racines sur des sols étrangers. Depuis la création de l’état d’Israël en 1948, les Palestiniens ont eu peu de temps ou de motivations pour étudier leurs origines avant leur établissement en Palestine. En effet de telles études pourraient être contreproductives car elles pourraient conforter la thèse israélienne selon laquelle les Palestiniens sont seulement des migrants dans la région. Ces dernières années, l’attention internationale s’est focalisée sur les juifs éthiopiens et leur place dans la société israélienne. Cependant, bien que des populations d’origine Africaine autres que les juifs Ethiopiens aient été présentes en Palestine, depuis bien plus longtemps, ils n’existe que peu de récits sur les conditions de leur arrivée ou de leur place et rôle dans la société du Moyen Orient. Ethnicité,
origine ethnique et identité sont des concepts extrêmement complexes qui sont
sujets à des changements dans le temps. Le but de cet article n’est pas
d’entrer dans le discours théorique de l’ethnicité. Il s’agit plutôt d’une
tentative pour révéler un aspect caché de la société palestinienne, à travers
des entretiens avec des Palestiniens dont les origines Africaines
sub-sahariennes sont visibles, et des récits
contemporains de l’histoire des familles et de leur situation actuelle. Dans
cet article, les termes relatifs à Cette étude a
été rendue possible par la coopération de Palestiniens vivant à Jérusalem, Gaza
et dans le Néguev. Des gens dont les origines Africaines sub-sahariennes sont
visibles ont été approchés, souvent par l’intermédiaire d’amis communs et ont
été interviewés de façon informelle dans leur maison, en anglais ou en arabe.
Au début du projet, le « Processus de Paix » sous les accords d’Oslo
en était à ses premières étapes et beaucoup de palestiniens étaient optimistes.
Cependant, à mesure que la situation politique se détériorait, il devenait plus
difficile de parler aux gens de ces sujets politiques très sensibles que sont
leur origine ethnique, l’héritage de l’esclavage et leur statut actuel en tant
que Palestiniens ou citoyens Israéliens. Certaines des personnes âgées à qui
j’ai parlé à Jérusalem étaient nées en Afrique, alors que
LA TERMINOLOGIE DE L’IDENTITE Comme dans une grande partie du monde arabe, la plupart des Palestiniens désignent les personnes d’origine Africaine sub-saharienne visible par le mot abed, un mot qui signifie, littéralement, « esclave ». Ainsi, les termes désignant les esclaves et les personnes noires sont devenus interchangeables. Presque tous les Palestiniens d’origine Africaine évitent le terme abed, et se désignent plutôt par le terme sumr (pl). Ainsi, la majorité des Palestiniens d’origine Africaine se désigne par le mot asmar (sing. mâle) ou abid (sing.), qui se traduisent, tous les deux, par « noir ». Dans le langage arabe palestinien familier, le mot sumr, qui veut dire la couleur noir est préféré au terme sawd, qui est considéré comme grossier lorsqu’il est appliqué aux personnes ou aux choses. Ceci est intéressant, car dans d’autres pays de langue Arabe, sawd est utilisé pour « noir », alors que sumr signifie « marron ». Les palestiniens n’ayant pas d’origines noires se désignent comme blancs, mais uniquement comme descriptif pour se différencier des Palestiniens d’origine Africaine, qui sont aussi considérés comme des arabes. Dans cette partie du monde, la première distinction ethnique qui importe est d’être Juif ou Arabe. A part la
communauté africaine, très soudée, de Jérusalem, la plupart des palestiniens
noirs ne Alors qu’Israël et la bande de Gaza ont des frontières avec l’Egypte, un pays du continent Africain, la conscience de la connexion de la région avec l’Afrique est faible. L’Egypte est vue par les Palestiniens comme une nation arabe. Dans cette partie du Moyen Orient, les catégories arabe ou africaine sont considérées comme réciproquement exclusives. L’Afrique sub-saharienne, qui est vue par les Palestiniens à la télévision, est perçue comme une région vaste et lointaine, rongée par la famine et l’extrême pauvreté. Les Palestiniens se considèrent comme des arabes, et ainsi, se distinguent des Africains sub-sahariens.
PREMIER CONTACT ENTRE L’AFRIQUE ET L’ARABIE La Palestine
est située aux confluents de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe et a été
conquise et reconquise par les armées des empires en concurrence (Butt
1995 ; Lewis 1996). Pendant des milliers Au septième siècle, des africains sub-sahariens vivaient en Arabie, et le compagnon de confiance du prophète Mohammed, Bilal, était un esclave éthiopien libéré. Presque tous les Africains d’Arabie étaient des esclaves, mais pas tous (Lewis 1971, Oliver and Crowder 1981). Il est souvent oublié qu’il y avait des esclaves dans de nombreuses régions du monde au Moyen Orient. Par exemple, les « Circassiens » d’Asie Mineure au Nord étaient très prisés en tant qu’esclaves. Les esclaves Noirs Africains mâles étaient souvent soldats ou administrateurs du gouvernement, certains d’entre eux atteignirent des rangs élevés. Les femmes Noires Africaines travaillaient comme esclaves domestiques, ou étaient les concubines des hommes riches ayant un statut élevé. Les enfants nés de ces concubines n’étaient pas des esclaves, et certains, dont les pères étaient de haut rang devinrent des dirigeants. Avec la propagation de l’Islam en Afrique, de plus en plus d’Africains sub-sahariens participaient au pèlerinage de la Mecque. Cependant, il y avait aussi des migrations d’Arabie vers l’Afrique par des gens qui sont revenus ultérieurement en Arabie pour effectuer le Hadj.
LES AFRICAINS GARDIENS DES LIEUX SACRES DE L’ISLAM Des écrivains européens et des voyageurs racontent que des esclaves originaires d’Afrique sub-saharienne gardaient le complexe de la mosquée de Haram as-Sharif à Jérusalem (Cohen et Lewis 1978 ; Peters 1986 ; Rogers 1989). Selon ces récits, les Africains étaient déployés par Mamluke puis par les ottomans, afin de garder les lieux saints de l’Islam (Marmon 1999). Des gardes similaires existaient aussi à la Mecque et à Medina. Bien qu’esclaves, les gardes étaient respectés, considérés comme dignes d’une grande confiance, et parfois même, assez puissants. La communauté africaine actuelle de Jérusalem a réalisé un récit de son histoire. Les informations suivantes sont extraites de la traduction de leur document, dont le titre est « Les Palestiniens Africains à Jérusalem : Entre leur Misérable Réalité et les Espoirs dans le Futur. » (Fils des Africains 1996). Les Africains
qui vivent à Jérusalem sont fiers de leur rôle historique de gardiens des lieux
saints islamiques depuis l’époque de Mamluk au XIIIè siècle. Ils occupent les
immeubles de l’époque de Mamluk, XIIIè siècle, sur les deux côtés de la rue
Al’a Ad-Deen, qui conduit à la mosquée de Al Aqsa. A l’origine, les deux
quartiers (ribat) étaient constitués d’auberges destinées aux pèlerins
qui se rendaient à la mosquée Après la conquête de la Palestine par le Royaume Uni en 1918, les prisons furent fermées, et la responsabilité des immeubles fut rendue aux autorités islamiques waaf, qui les utilisèrent pour y loger les pauvres, y compris des Africains. Quand l’Imam Hussein, Al Mufti, qui conduisit la lutte contre les Anglais et les Juifs jusqu’en 1948, assuma la charge des immeubles, il loua les deux ribats aux Africains. Certains des africains perpétuèrent la tradition et travaillèrent comme gardes du corps pour le mufti. Les descendants de ces africains vivent toujours dans les deux ribats aujourd’hui. En 1971, la responsabilité de la tombe du fondateur du quartier, Al’a Ad-Deen Al Busari, restaurée par la communauté africaine, leur a été confié lors d’une cérémonie présidée par l’ancien maire de Jérusalem et historien, Arif el-Arif. Dans son discours, il a déclaré que « les membres de la communauté africaine sont des gardes dévoués de la mosquée d’Al Aqsa. La communauté africaine à Jérusalem est loyale, et ils ne sont pas partis, même dans les situations de crise (Jeddah 1971).
LES AFRICAINS A JERUSALEM AUJOURD’HUI Pendant mes
entretiens avec des membres de la communauté Africaine de Jérusalem, j’ai
appris El Haj Jeddeh,
qui est né au Tchad, mais dont la famille est originaire de Jeddah, dans le
Hijaz, est le chef, mukhtar, de la communauté africaine et d’autres
palestiniens qui vivent dans les environs. Il a servi dans l’armée britannique,
jordanienne, et maintenant israélienne. Il est également responsable de la
tombe Quand Israël a occupé la CisJordanie, de nombreux africains furent forcés de se réfugier dans les pays alentour, ce qui a entraîné une réduction de 25% du nombre de palestiniens africains vivant à Jérusalem. Les Palestiniens africains ont été très actifs durant l’Intifada, et de nombreux affrontements eurent lieu avec les troupes israéliennes. Un jour, les israéliens ont arrêté tous les hommes entre 10 et 45 ans et les ont insultés, leur disant : « vous êtes des Africains, vous n’avez rien à voir avec la Palestine » (Fils d’Africains 1996).
LA MEMOIRE DE L’ESCLAVAGE DANS LA SOCIETE BEDOUINE Bien que les Africains aient été présents en Palestine depuis plusieurs siècles, la plupart des gens ne savent que très peu de choses de cette migration. Pendant des siècles, sous l’empire Ottoman et avant, les esclaves étaient amenés d’Afrique (Crabites 1933). Des personnes âgées se souviennent aujourd’hui des histoires racontées par leurs parents ou grands-parents sur leur venue en Palestine. Il est ainsi possible de découvrir des choses sur l’histoire récente de l’esclavage. Plusieurs personnes ont déclaré avoir entendu parler d’un grand marché aux esclaves en Egypte et un bédouin m’a dit que son grand-père était un marchand d’esclave qui faisait régulièrement le voyage jusqu’en Egypte. Une description saisissante de ce marché au XIXè siècle est fournie par Louis Frank (Le Gall 1999). La majorité
des gens qui avaient une idée de l’origine de leurs ancêtres ont mentionné le
Soudan et A Gaza, j’ai
parlé à des gens d’origine bédouine qui avaient vécu dans le Néguev avant 1948.
Dans le Néguev, j’ai parlé à des gens d’origine africaine qui étaient restés
dans la région après 1948. A Gaza, j’ai aussi rencontré des noirs de la tribu
Al Rubayn (ashira) qui étaient des bédouins sédentarisés vivant dans les
environs de Jaffa et qui ont dû fuir leurs villages en 1948 à la création de
l’état d’Israël. Ils dirent qu’ils Ces gens
d’origine bédouine vivant actuellement à Gaza et dans le Néguev se souviennent
d’histoires racontées par les anciens qui décrivaient comment les enfants
étaient kidnappés ou apportés sur les marchés aux esclaves, parfois transportés
dans les sacoches des chameaux, pour aller vivre chez les familles bédouines
importantes. Cela s’est produit à la fin du XIXè siècle et au début du XXè
siècle. Un bédouin m’a raconté que les esclaves étaient marqués comme les
animaux, mais qu’ils n’existait pas de documents concernant leur propriété ou
leurs origines. Les enfants esclaves étaient souvent les seuls noirs qui
vivaient avec les familles. Ils s’occupaient des animaux, faisaient pousser du
blé et de l’orge, et Dans le
Néguev, les bédouins avaient un système social et politique à trois étages. Les
sheikhs étaient issus du Samran, le bédouin originel. Les hamran, des
familles à l’origine felaheen, -fermiers paysans- qui avaient besoin de
protection et/ou de terres des familles Samran. Les abeds, esclaves,
était à la base de la structure sociopolitique et n’avaient pas les mêmes
droits et le même statut que les personnes libres. Dans certaines familles, il y avait parfois des esclaves qui
n’étaient pas d’origine africaine, ainsi que des personnes dépendantes au
statut faible, les hamran. Mais un homme m’a dit qu’un esclave blanc
Certains
enfants noirs, esclaves étaient éduqués avec les autres enfants – libres – de
la famille. Lorsque les enfants avaient grandi, leur maîtres arrangeaient leur
mariage. Ils n’épousent jamais des Blancs, même si ceux-ci sont aussi esclaves.
Comme il y avait peu de noirs, les mariages signifiaient souvent pour la fille
qu’elle devait quitter la maison de la famille de son maître. Des gens ont
aussi raconté qu’à leur entrée dans l’âge adulte, les esclaves pouvaient
choisir de tenter leur chance et devenir libres, ou alors rester attachés à la
famille du maître qui arrangeait alors le mariage. Ceci s’est probablement
produit vers la fin de Les esclaves
ne comptaient pas dans les affrontements sanglants qui opposaient les familles.
Plusieurs personnes m’ont dit que si un homme noir tuait un homme blanc, la
mort de cet homme noir ne compterait pas. Le paiement (suhla) pouvait
être effectué en monnaie, ou en donnant un esclave d’une certaine taille. Si un
homme noir tue un blanc, la famille du mort peut, en représailles, tuer les
« propriétaires » de l’homme noir. Assez récemment, à Rahat, une
ville de bédouins sédentarisés du Sud Sous l’ancien
système, les esclaves ne pouvaient pas s’asseoir dans la tente des invités, le shig,
comme leurs maîtres. A certains endroits, ceci peut toujours être observé, le
rôle des noirs étant de servir le thé et le café à des personnes n’ayant aucune
origine africaine visible ou connue. Un homme m’a raconté
LES CHANGEMENTS AVANT ET APRES 1948 L’esclavage
semble avoir été une institution active sous l’empire Ottoman. Lorsque le
mandat britannique sur la Palestine a été établi en 1917, les esclaves n’ont pas
reçu de documents les libérant, et il apparaît que les Britanniques firent peu
d’efforts formels pour en finir avec le système de l’esclavage en Palestine. En
fait, la création d’Israël et les changements socio-économiques rapides et
traumatiques qu'elle a apportés ont entraîné la disparition de l’institution
dans certains endroits, alors qu’elle perdura dans Les groupes de personnes noires qui vivent aujourd’hui dans le Néguev, et à Gaza en tant que réfugiés, sont les descendants des esclaves des bédouins. Comme les peuplades de Gaza et du Néguev ont été séparées par des frontières fréquemment fermées seulement depuis 1948, (lorsque Israël a été créé et que la majorité des Bédouins du Néguev durent se réfugier à Gaza et en Jordanie), les diverses communautés conservent des liens de sang. Avant 1948, il existait dans le Néguev un système sociopolitique d’affiliation tribale. Il y avait 4 confédérations tribales (gabail) : Gdarat, Azazme, Tarabeen et Dlam. De toutes, la Tarabeen est certainement celle qui possédait le plus d’esclaves noirs. Chaque confédération était divisée en tribus, ou ashira (Lewando Hundt 1978). D’après plusieurs bédouins à qui j’ai parlé, Jama’an Abu Jurmi, de Tarabeen, était un sheikh noir puissant vers qui tous les noirs pouvaient se tourner. Cependant, la ashira de Abu Jurmi fut dispersée pendant la guerre de 1948, et est, peut –être, aujourd’hui, dans le Sinaï ou peut être en Jordanie ou à Gaza. Beaucoup de noirs du Néguev sont maintenant affiliés à la tribu de Abu Bilal. Chez les bédouins, il existe plusieurs théories quand aux origines de Abu Bilal. Certains disent que les Israéliens ont inventé Abu Bilal pour représenter tous les bédouins noirs, et ont donné ce nom à ce hamula[1] en référence à Bilal, le compagnon éthiopien du prophète Mohammed car il était noir. Cependant, le fils du sheikh actuel de Abu Bilal raconte une histoire différente. Il y a cinq ou six générations de cela, un enfant, Bilal, a été volé en Afrique et emmené dans le Sinaï. Le garçon devint l’esclave de la famille qui l’avait acheté, et, alors que sa famille l’avait retrouvé pour le ramener chez lui, il refusa, s’étant habitué à sa nouvelle vie. Il se maria et eut des descendants, et jusque de nos jours, les Abu Bilal ont des terres au Sinaï. Pourtant, les descendants partirent s’installer dans le Néguev Le petit-fils de Bilal, Suleiman, était très intelligent et un leader naturel. Pendant et après la guerre de 1948, il fut nommé sheikh par les autorités israéliennes, et tint des négociations avec l’autorité militaire israélienne. Beaucoup de gens pauvres, blancs et noirs, lui demandèrent de s’exprimer en leur nom. C’était à l’époque où les bédouins devaient tous être affiliés à un sheikh afin d’obtenir des rations et des permis de voyager. Après 1950, les sheikh, comme Suleiman, étaient formellement nommés par les Israéliens. En 1952, lors d’un recensement, de nombreux noirs s’enregistrèrent sous Abu Bilal, bien qu’ils aient été attachés à d’autres familles. Par exemple, un homme âgé m’a raconté qu’il avait saisi sa chance de se faire enregistrer comme membre de Abu Bilal, afin de se dissocier des descendants des maîtres de son grand-père, qui avaient de toute façon perdu leurs terres. Il expliqua : « Suleiman Abu Bilal était très intelligent et fort, bien qu’il n’aie su ni lire ni écrire. Beaucoup le rejoignirent. Avant 1948, Abu Bilal était une famille. Bilal était un esclave qui vivait dans le Sinaï. » Le vieil homme me dit que lui et sa famille avaient vécu comme des nomades en Cisjordanie avec les Abu Bilal pendant dix ans. La guerre de 1967 mit fin à ce mode de vie. Dans certaines
régions, le mode de vie de l’esclavage semble avoir perduré jusque dans les
années 50. Un homme noir qui vint d’Egypte en Palestine en tant que travailleur
migrant, et qui s’est trouvé pris dans la guerre de 1948, se souvient des
conditions de vie des noirs rattachés à Al Huzail. Il avait travaillé dans les
vergers dans la région de Rishon, qui constitue de nos jours le centre Israël, avec
des noirs de la famille Abu Barakat. Quand la guerre éclata, ils s’enfuirent
vers leur région d’origine, le Al Huzail, où Rahat est Après 1948, la plupart des bédouins du Néguev perdirent leurs terres, et ceux qui ne quittèrent pas la région pour se réfugier à Gaza ou en Jordanie furent confinés dans une petite zone militaire près de Beersheba. De nombreux bédouins semblent alors s’être beaucoup déplacés, travaillant dans les vergers dans le Nord, autour de Rishon, Rehovot et Atir, ou en travaillant la terre et en élevant des animaux en Cisjordanie (Kressel 1992). Une famille, vivant maintenant à Rahat, m’a raconté qu’ils avaient déménagé neuf fois entre 1956 et 1968. Après la guerre de 1967, il devint beaucoup plus difficile de se déplacer. A la fin des années 60, les Israéliens commencèrent à développer des installations planifiées pour loger les bédouins du Néguev. Actuellement, près de la moitié des bédouins du Néguev vit dans ces villes, alors que l’autre moitié, qui a résisté au déplacement, demeure dans des bidonvilles ou dans des campements. Beaucoup de familles noires déménagèrent dans les villes planifiées, dont la plus importante est Rahat. Sur approximativement 30 000 personnes qui vivent à Rahat, un tiers sont noires et se concentrent dans trois quartiers de la ville. Presque toutes ces familles sont enregistrées comme Abu Bilal.
LE MARIAGE Tous les gens à qui j’ai parlé ont souligné que les mariages entre Blancs et Esclaves noirs n’étaient autrefois pas autorisés. De plus, il ne semble y avoir aucune preuve que les propriétaires d’esclaves prirent des femmes noires pour concubines. Les esclaves noirs étaient plutôt mariés à d’autres esclaves noirs qui appartenaient à des familles différentes. Toutefois, tous les Noirs n’étaient pas esclaves, et la plupart des gens d’origine africaine, vivant en Palestine, ont des ancêtres arabes non africains. L’histoire des familles révèle des intermariages sur plusieurs générations, au moins entre des gens d’origine africaine et d’autres palestiniennes. Au XXème siècle, particulièrement
après 1948, les choses changèrent. Des hommes noirs descendant d’esclaves,
épousèrent des femmes qui n’étaient pas noires, mais issues de familles
paysannes fellaheen de Cisjordanie, de Gaza et de Galilée, mais jamais
des femmes bédouines. Rarement, un homme bédouin pouvait épouser une femme
bédouine noire. Ainsi la plupart des
gens qui sont considérés comme noirs ont des origines mixtes. La lignée des
mâles est prédominante dans la détermination de la descendance. J’ai rencontré
un homme d’apparence noire Africaine à Gaza. Sa famille était venue du Néguev
après 1948. Pourtant, il prétendait être techniquement blanc car le père de son
père était blanc. A Les Bédouins noirs ont continué à épouser des bédouines noires, souvent de la même tribu, se conformant ainsi à la préférence culturelle dans la société arabe pour le mariage avec des parents. Un homme m’a dit que le mariage entre cousins devenait de plus en plus commun chez les Bédouins noirs. Après 1956, il devint relativement facile pour les bédouins mâles noirs Nagav d’arranger des mariages avec des femmes blanches fellaheen. Il en résulta que de nombreuses femmes se retrouvèrent sans maris. C’est pourquoi les bédouins noirs ont récemment recommencé à se marier entre membres de tribus différentes, par exemple entre Abu Rqaiq et Abu Bilal. Bien que les Palestiniens africains de Jérusalem constituent une communauté séparée des Bédouins noirs, certains mariages intercommunautaires existent. Par exemple, l’une des femmes d’un homme que j’ai rencontré à Jérusalem était issue d’une famille de bédouins du Néguev originaire de Beersheba, qui vivaient dans un camp de réfugiés à Bethlehem. De nombreux mariages eurent lieu entre les communautés de Jérusalem et de celle de Jéricho, dont certaines sont clairement d’origine africaine, bien que peu de gens semblent savoir comment les Africains sont arrivés à Jéricho. Plusieurs personnes m’ont dit que Jéricho convenait aux Africains car il y fait très chaud.
STATUT ET IDENTITE Les Bédouins de descendance africaine ont été géographiquement dispersés, et pris dans les énormes transformations politiques qui ont affecté la région, à la fois individuellement et au niveau de la famille, laissant ainsi peu d’opportunité pour le développement d’un sentiment d’identité africaine. Certains sont des citoyens Israéliens ou Jordaniens, alors que d’autres sont enregistrés comme réfugiés palestiniens et détiennent des papiers des Nations Unies, mais n’ont pas de nationalité. D’autres encore ont été dispersés au Liban et en Tunisie et sont devenus des membres de haut rang de l’OLP. De nombreuses familles qui ont été séparées sont dans l’impossibilité de se voir souvent, à cause des frontières fréquemment fermées. Ayant vécu
dans une réalité quotidienne et politique si complexe, où l’identité ethnique
et la citoyenneté sont si importants, il n’est pas surprenant que la plupart
des noirs n’aient pas un sentiment aiguë de leurs origines africaines. Ceux qui
vivent dans le Néguev parlent d’un changement dans le sentiment Beaucoup de
palestiniens d’origine africaine sont pauvres et désavantagés, même comparés à
Par delà la
citoyenneté et les droits, beaucoup de noirs associés aux bédouins parlent
d’une affinité très forte, et d’un sentiment de racines communes qu’il ont
ressenti lorsqu’ils ont rencontré des noirs ou qu’ils en ont vus à la
télévision. Effectivement, à Gaza et dans le Néguev, il est courant que les
hommes noirs Les Noirs du Néguev, de Gaza et de Jérusalem se désignent eux-mêmes par le terme sumr, un contraste complet avec beaucoup d’autres Palestiniens, qui continuent à les désigner par le terme abed, dont le sens premier est esclave. De plus, certaines personnes noires âgées utilisent toujours abed, alors que les jeunes gens évitent le terme. Pourtant, beaucoup de ces jeunes ne connaissent rien ou peu de leur histoire. Une jeune femme, en entendant sa grand-mère parler d’esclavage, a été choquée et voulait être rassurée sur le fait que tout cela s’était bien produit des siècles auparavant. Bien que certains palestiniens qui ne sont pas noirs clament que abed n’est pas un terme péjoratif, et que les connotations avec l’esclavage ont été perdues, d’autres sont embarrassés d’entendre ce mot mentionné. Les origines, l’identité et la terminologie utilisée pour décrire les gens d’origine africaine sont clairement des sujets sensibles. Lorsque j’ai parlé à des noirs Palestiniens, et à d’autres qui n’étaient pas noirs, les deux groupes ont nié que les Africains aient jamais été esclaves dans la région, et dirent que les Africains étaient plutôt des soldats dans l’armée ottomane. Quand je fis remarquer que cela n’était pas vrai, un homme me chuchota presque : « On n’en parle jamais ». Pourtant, les Palestiniens qui continuent à utiliser le terme abed perpétuent la discrimination. Les Palestiniens africains de Jérusalem m’ont dit qu’ils se battaient avec quiconque les appelait abed. Ils ajoutèrent que cela ne se produisait pas souvent, car leur place dans la société palestinienne et leur rôle dans la lutte est largement reconnu par les citoyens de Jérusalem. Ils s’identifient aussi clairement en tant qu’Africains et Palestiniens.
CONCLUSION Ce projet de recherche a abordé les problèmes de l’ethnicité, auxquels la majorité des palestiniens ne voulait pas réfléchir. Il est évident que le conflit israélo-palestinien a déterminé la manière dont les gens qui vivent dans la région pensent et parlent des origines ethniques et de l’identité. Dans le climat politique actuel de lutte des Palestiniens pour récupérer leur territoire occupé, l’identité nationale est mise en évidence, alors que les origines diverses des gens sont largement ignorées. Ainsi, les gens abed ou sumr sont considérés comme arabes et palestiniens. Pourtant les Palestiniens d’origine subsaharienne continuent fréquemment à être désignés et même directement appelés abed. En Palestine, comme dans de nombreuses régions du monde, les origines esclaves des gens ont laissé des stigmates. Le terme abed est un rappel constant des basses origines, de la persistance d’un statut inférieur et de l’altérité. D’où l’effort de nombreux noirs pour se redéfinir comme sumr. Le terme khali montre clairement que les Palestiniens noirs s’identifient aux noirs de n’importe où dans le monde. Pourtant, la lutte politique actuelle exclut le développement d’une identité africaine forte parmi les Palestiniens noirs. Les choses peuvent changer en cas de succès du Processus de Paix., car les conceptions de l’ethnicité sont construites socialement, et sont sujettes à des changements et des altérations.
REMERCIEMENTS Cette étude a été possible grâce à un Social Science Award de la Fondation Nuffield. Nous voulons remercier mes collègues du European Union Avicenne Initiative Project pour leurs conseils et leur soutien, en particuliers Salah Al Zaroo et Gillian Lewando Hundt. Mon mari Abudi Kibwana Sizi m’a aidée durant ses deux visites en Palestine. Dans le Nagab et à Gaza, de nombreuses personnes m’ont aidée à entrer en contact avec des collègues, voisins et amis de descendants africains que j’ai rencontrés à Jérusalem, à Gaza et dans le Nagab. Ils ne sont pas nommés ici, afin de préserver leur vie privée. L’interprétation des informations fournies est la seule responsabilité de l’auteur. [1] Cette note est une note explicative de traduction : hamula renvoie à un clan composé de différents lignages se réclamant d’un ancêtre commun par la descendance parternelle..
|
|