Encore une fois, la Mauritanie vient de
connaître, en ce jour du 6 août 2008, un énième coup
d’Etat contre les
institutions de la république qu’incarnait, cette fois, le président Sidi
Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, démocratiquement élu, il y a 15 mois. Avec cet
acte, le pays du million de poètes est en passe de devenir celui du million
de putschistes. Pourtant, il ya quelques mois, le monde entier saluait,
avec beaucoup d’espoir, l’expérience démocratique de la Mauritanie. Aujourd’hui,
suite à la révocation de quatre officiers supérieurs de l’armée, devenus
gênants, après avoir été les principaux artisans de la victoire du président
Sidi,
l’armée a, une fois de plus, intervenu, pour occuper les devants de la
scène et redessiner les contours de la donne politique, dont elle ne veut,
décidément pas, être exclue. En un demi-siècle d’existence, la République Islamique
de Mauritanie (RIM) occupe une place «honorable» dans le peloton de tête des
pays secoués par les coups de force. Régulièrement, depuis 1978, date du
premier coup d’Etat contre le père fondateur du pays, feu Moktar Ould Daddah,
c’est, en moyenne, tous les 5 ans qu’un coup d’Etat, ou une tentative de
déstabilisation du régime en place, est organisé, avec une tendance
singulière à
l’accélération, les cinq dernières années…
Lundi 10 juillet 1978 : Premier coup
d’Etat en Mauritanie
Il y a 30 ans, presque jour pour jour, les militaires opéraient leur premier
coup d’Etat contre le régime civil de Moktar Ould Daddah. Un comité de
redressement national, présidé par le lieutenant-colonel Moustapha Ould
Mohamed Salek, prend en main les affaires du pays, en promettant, dans son
premier communiqué, de remettre «incessamment» le pouvoir aux civils, suite à
un processus démocratique. La raison fondamentale invoquée par les
putschistes d’alors était que le pays vivait dans une précarité dramatique,
occasionnée par une ‘’guerre injuste’’ dont l’effort ne pouvait plus être
soutenu par les caisses de l’Etat. Moins d’un an après, le 5 avril 1979, le
colonel Bouceif devient l’homme fort du pays. Il disparaîtra, dans un crash
d’avion, deux mois plus tard (mai 79), dans des conditions non encore
élucidées. Successivement, les colonels Mohamed Mahmoud Ould Louly et Mohamed
Khouna Ould Haidalla prendront les rênes du pouvoir. Si le premier n’a été
qu’un président très éphémère, le second aura marqué les esprits, par ses
sorties intempestives. Du 4 janvier 1980 au 12 décembre 1984, le colonel
Haidalla refuse de se soumettre aux injonctions des institutions monétaires
internationales. De son règne, les Mauritaniens retiendront une grande
rigueur, une volonté ferme d’appliquer la Charia, l’organisation des structures
d’éducation de masses, chargées de suivre les populations dans leurs derniers
retranchements et le début de construction d’un «palais du peuple», dont les
fonds prirent, rapidement, les chemins de la dilapidation…
Le «douze- douze» 84 : Encore un
colonel
Six ans après le débarquement du premier président de la Mauritanie, un
nouveau coup de force eut lieu, le 12 décembre 1984, à Nouakchott. Une
nouvelle junte militaire, avec, à sa tête, le colonel Maaouya, profite de
l’absence de Haidalla, en voyage à Bujumbura, pour s’accaparer du pouvoir.
Une puissance étrangère amie se serait fortement mobilisée pour la réussite
de ce changement, car le président sortant était «difficilement gérable».
Aussitôt aux affaires, les nouveaux patrons du pays promettent de mettre en
place un processus qui aboutira à doter le pays d’institutions démocratiques.
Pendant vingt et un ans, de décembre 84 à août 2005, le pays connaîtra un
bouillonnement politique, variablement coloré. Plusieurs élections
municipales, législatives et présidentielles. Toutes ces consultations
électorales, à
l’exception de celles de 2001, ont été un véritable fiasco au
cours duquel toutes les irrégularités, des plus banales aux plus inédites,
ont été observées. Par trois fois, en 1992, en 1997 et en 2003, le colonel
Taya remporte, non sans graves contestations, les scrutins présidentiels.
Durant ces trois législatures, les libertés fondamentales et les droits de
l’homme ont été dangereusement bafoués : emprisonnements, tueries,
restrictions de la presse et dissolution des formations politiques. D’un
officier supérieur timide, qu’on pensait pouvoir manipuler aisément, le
colonel Maaouya s’est mué en homme très fort, qui a su, grâce à un dispositif
«vigilant», asseoir une «démocratie» taillée sur mesure, où tous les pouvoirs
étaient centralisés sur sa personne.
Des tentatives avortées
Plusieurs tentatives de déstabilisation des régimes en place furent
entreprises, de 1981 à 2003. Il y eut, d’abord, celle des commandos, dirigée
par les colonels Kader et Ahmed Salem Ould Sidi, soutenue par le Maroc pour
mettre fin au pouvoir de Ould Haidalla, allié naturel du Front Polisario. À
l’issue de cette tentative avortée, les commanditaires furent passés par les
armes, pour haute trahison, sans autre forme de procès. Il y eut, ensuite,
celle du jeudi 22 octobre 1987, menée par des négro-africains mauritaniens,
qui voulaient, selon les rapports des services de renseignement de l’époque,
prendre le pouvoir pour instituer un Etat où les africains noirs de
Mauritanie auront leur mot à dire. Toujours selon cette source, les
instigateurs de cette tentative auraient prévu une épuration du pays de toute
la composante arabe. Comme les autres, les responsables de ce «plan»
seront liquidés, suite à un simulacre de procès d’assises militaire,
tenues à la base de Jreida, à quelques dizaines de kilomètres de Nouakchott.
Enfin, en juin 2003, l’ancien commandant radié Salah Ould Hannena et quelques
officiers audacieux égratignent, en fait mortellement, on le comprendra un
peu plus tard, le système de Maaouya. Celui-ci échappe, de justesse, à la trappe,
à cause de l’inexpérience des meneurs. Après une cavale de quelques mois,
Salah Ould Hannena et ses amis sont arrêtés et jugés, lapidairement, à Ouad
Naga. Leur audace aura quand même servi à faire comprendre que le système
Taya était certes puissant, mais pas indéboulonnable.
3 août 2005 : Le roi est mort, vive le
roi
Tranquillement, sans aucun bruit, les hommes de confiance de Maaouya
profitent de son voyage en Arabie Saoudite pour le destituer. Contrairement à
Haidalla, le président déchu préfère l’exil à la prison. Ses tombeurs, qui
l’accusent de tous les maux, fondent le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD),
composé de 19 officiers supérieurs et présidé par le colonel Ely Ould Mohamed
Vall. Cet organe promet, dans ses premiers communiqués, qu’en deux ans, au
maximum, des élections libres et transparentes permettront, d’une part, le
retour des civils aux affaires et, d’autre part, le retrait de l’armée dans
ses casernes. Effectivement, c’est au bout de dix-neuf mois qu’un président
issu du peuple est élu, suite à des élections, unanimement saluées dans le
monde.
6 août 2008 : «pour sauver la
constitution»?
Selon l’avis de certains observateurs autorisés, ce n’est, hélas,
probablement pas le dernier coup de force que celui qui vient de renverser le
premier président démocratiquement élu de la Mauritanie. Les
instigateurs de ce coup, après la diffusion d’un décret les limogeant,
auraient agi, selon leurs dires, «pour sauver la démocratie et les
institutions démocratiques». Ils promettent d’organiser, rapidement, une
élection présidentielle sans dire quand ni si l’un
d’eux va s’y présenter. En
attendant, un haut conseil d’Etat, avec, à sa tête, le général Mohamed Ould
Abdel Aziz, ancien chef d’état-major particulier du président déchu, se
chargera de la gestion des affaires du pays, jusqu’au rétablissement de la
‘’normalité’’. Comme toujours, le peuple mauritanien se rend à l’évidence :
depuis que la grande Muette a pris goût au pouvoir, il est difficile de la
priver des délices que celui-ci confère. Pourtant le rôle d’une armée
républicaine est, fondamentalement, de veiller à la défense et à l’intégrité
territoriale du pays, loin des choses politiques. Malheureusement, en
Mauritanie, l’institution militaire est devenue, à cause de plusieurs
facteurs, au centre de la vie politique. Le haut Conseil d’État qui vient de
naître promet, comme ses prédécesseurs, de sortir définitivement
l’armée des
choses politiques, après l’organisation d’élections transparentes. Des propos
maintes fois réitérés par tous les comités de salut, de redressement et
autres conseils militaires et qui s’avèrent n’être que des calmants, destinés
à tromper l’opinion nationale et internationale sur les véritables
desseins des nouveaux maîtres de céans…
Voilà : la Mauritanie
renoue avec une presque traditionnelle situation, toute empreinte
d’expectatives et d’incertitudes. Mais comme elle est résistante cette
Mauritanie que plus de six coups d’Etat militaires et presque autant de
tentatives n’ont pas réussi à ébranler! Et qu’il est grand et déterminé ce
peuple, qui continue, encore, à espérer et à croire, vaille que vaille, qu’un
jour, une véritable démocratie démilitarisée prévaudra sur cette terre aux
habitants naïfs… et calculateurs.
Le
10/08/2008
Sneiba
Elkory
Source : Le Calame, Journal mauritanien