Dans un
bus allant de Bab Ezzouar à Alger, elle tance sa fille : «Tais-toi,
sinon j’appelle ‘‘el kahloucha’’, la Noire assise là-bas.
Regarde-la, elle est laide !» La femme noire dont il est question,
en djellaba et foulard rose, fait mine de ne pas entendre. La
fillette se blottit dans les bras de sa mère, certains passagers
esquissent un sourire et l’autobus slalome sur l’autoroute
menant à Alger afin de contourner les embouteillages.
Mépris,
insultes, agressivité et humiliations quotidiennes sont le lot des
Noirs en Algérie. Attaher, étudiant nigérien vivant en Algérie
depuis trois ans, porte un regard lucide sur son pays d’accueil :
«Au début, nous étions bien accueillis, puis les choses ont
changé. Le problème réside surtout dans le fait qu’on ne côtoie
pas beaucoup d’Algériens, nous vivons reclus. Du coup, il y a
beaucoup d’incompréhensions de part et d’autre.» Ceci dit,
assure-t-il, les actes racistes sont très rares.
Pendant
qu’Attaher s’adresse à l’auteure de ces lignes, près de la
cité universitaire de Bab Ezzouar, des moqueries fusent. L’un des
jeunes persifleurs justifie ces railleries par le fait que les
Africains qui vivent dans les cités universitaires ont, eux aussi,
des comportements répréhensibles. Il dit le mot «Africain» comme
s’il s’agissait d’un continent complètement étranger.
L’africanité de l’Algérien lui est, semble-t-il, complètement
inconsciente.
Moi
Africain ? Jamais !
«Etes-vous
Africains ?», interrogeons-nous. «Non, nous ne sommes pas
Noirs, juste un peu bronzés.» Notre interlocuteur prend soin
d’énumérer tous les clichés véhiculés sur le continent :
«L’Afrique, c’est la misère, les guerres, la famine. El
hamdoulilah, grâce à Dieu, nous ne sommes pas dans ce cas de
figure !»
Malgré les apparences, assure Hocine Abdellaoui,
sociologue, l’Algérien n’est pas raciste. «Non l’Algérien
n’est pas raciste, mais il peut avoir des comportements hostiles
qui peuvent paraître racistes», explique-t-il. Il souligne :
«Dans notre imaginaire, l’étranger, c’est le colonisateur venu
pour nous exploiter et accaparer nos biens.»
Le panafricanisme
prôné par le président Boumediène a disparu sous les cendres. Le
Festival panafricain, c’était en 1969, autant dire il y a un
siècle. Et les tentatives du président Bouteflika de faire
renaître ce sentiment sont restées vaines. Le dernier Panaf’
organisé en juillet 2009 n’avait pas la même saveur. Tout au
plus cela a-t-il été considéré comme un grand carnaval durant
lequel des Africaines défilaient à moitié nues dans les rues
d’Alger.
«Lorsque
nous étions étudiants, au milieu des années 1970 et que les
dirigeants algériens ont invité les étudiants africains à venir
en Algérie, il n’y avait plus de place dans les cités
universitaires. Nous n’avons pas protesté car nous étions fiers
de les accueillir dans notre pays», raconte Hocine Abdellaoui.
Force est d’admettre que les temps ont changé.
Une étude
réalisée par l’Association pour l’aide, la recherche et le
perfectionnement en psychologie (Sarpp), traitant de la situation
des migrants subsahariens en Algérie, renvoie une image peu
flatteuse de nous-mêmes. Les migrants y utilisent des qualificatifs
particulièrement durs pour signifier leur perception des Algériens.
A leurs yeux, ils seraient racistes ou xénophobes, agressifs,
désagréables, méprisants et malintentionnés. Les appréciations
positives représentent moins de 21%.
Plus violente encore est la
manière dont ils croient être perçus par les Algériens :
misérables avec près de 29% de fréquence, esclaves (près de
18%), sous-hommes (12%), étrangers, trafiquants, animaux, porteurs
de maladies et enfin mal éduqués. Les appréciations positives ne
dépassent pas 8,2%.
Noureddine
Khaled, psychosociologue ayant dirigé cette étude, impute
toutefois ces jugements au fait que les migrants en situation
irrégulière en Algérie, comme dans d’autres pays, vivent des
situations très difficiles. «Quand ils ont la chance de trouver du
travail au noir, ils sont exploités et n’ont aucun droit. Ils
sont pour la plupart mal logés, mal nourris et harcelés par la
police puisqu’ils n’ont pas de titre de séjour en règle. Cette
situation explique en grande partie la perception négative qu’ils
ont de l’Algérie et des Algériens. Certaines associations font
beaucoup d’efforts pour les aider, mais cela restent très
insuffisant au regard de l’importance de leurs besoins», nous
explique-t-il. Noureddine Khaled souligne, par ailleurs, que les
comportements dits xénophobes ou racistes viennent de préjugés et
s’expriment envers des minorités perçues comme physiquement ou
culturellement différentes de la population dominante.
Ces
minorités peuvent être perçues comme dangereuses ou menaçantes :
ils menacent nos emplois, apportent les maladies, apportent la
drogue, etc. Ces préjugés sont souvent faux, mais sont entretenus
par la rumeur et la désinformation relayées parfois par certains
médias.
Quid des Noirs algériens ? Il n’y a pas de débat
sur la diversité en Algérie. Les Algériens issus de la communauté
noire sont pratiquement absents aux postes de responsabilité et
dans les rangs supérieurs de l’armée. Le fait est que, bien que
les Noirs algériens ont été, dès l’indépendance de l’Algérie,
sensibles au message égalitaire et anti-esclavagiste de l’ex-parti
unique, le FLN, l’inexistence d’une classe moyenne noire a rendu
difficile leur promotion politique.
Le
Sud est perçu comme un territoire sous-administré, comme en
témoignent les récurrentes actions de protestation dans la zone
pétrolifère de Ouargla, où les jeunes s’insurgent contre le
fait de recruter des habitants du Nord pour travailler dans les
entreprises situées au Sud.
Hocine Abdellaoui fait remarquer que
«les gens du Sud sont de plus en plus hostiles envers ceux du
Nord». Il cite pour exemple l’une des prisons du sud du
pays dans laquelle les responsables sont tous originaires du Nord :
«L’hostilité envers les gens du Nord devient un réflexe.» Par
ailleurs, comme l’explique le sociologue Alain Blin dans un
document, vieux de plus de 30 ans mais qui reste d’une actualité
saisissante, l’Algérie est le pays ayant accueilli le plus petit
nombre d’esclaves noirs, selon les estimations de la traite
transsaharienne. Il serait ainsi le moins «noir» des pays du
Maghreb.
Crise
identitaire
Mais
le racisme algérien, réel ou supposé, n’est pas dirigé
uniquement contre les Noirs. Le match ayant opposé l’Algérie à
la Libye le 14 octobre au stade de Blida a donné une très
mauvaise image de notre pays. Il a aussi mis à nu le fait que les
Algériens ne retiennent de ce pays, avec lequel ils partagent une
frontière de près de 1000 kilomètres, que les truculences du
dictateur déchu. Le psychosociologue Noureddine Khaled considère
que ce qui se passe dans les stades relève d’un autre registre,
celui de la rivalité entre deux équipes qui s’affrontent et qui
font écho à une rivalité entre deux régions ou entre deux pays.
Pourtant, force est de constater que les mots utilisés sont
particulièrement virulents. Les comportements hostiles deviennent
plus visibles lors des crises. L’exemple le plus édifiant est la
crise diplomatique entre l’Algérie et l’Egypte suite au match
de qualification à la Coupe du monde.
«Le
fait est que les Algériens ont une attitude hostile au point que
certains comportements sont à la limite du racisme : les
Chinois sont des mangeurs de chats, les Egyptiens sont des amateurs
de fèves, les Marocains sont adeptes de la sorcellerie, etc. Ils
adoptent ainsi un comportement distancié en collant des
étiquettes», observe Hocine Abdellaoui. Il ajoute : «Les
Libyens sont devenus nos égaux après la révolution, c’est pour
cela qu’on les attaque. Nous sommes à la recherche d’un
positionnement par rapport à l’autre.»
Le fait est, par
ailleurs, que la violence est devenue plus palpable ces dernières
années. «C’est que les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus
peur de dire tout haut ce qu’ils pensent. Ceux des anciennes
générations refoulaient leur violence, les jeunes l’affichent
sans crainte», précise Hocine Abdellaoui.
Complexe
face à l’Européen
La
xénophobie dans la société algérienne, si elle existe
réellement, n’est pas dirigée contre «l’Occidental». Plus
beau car blond aux yeux bleus, plus riche car payé en devises et
plus compétent, son seul défaut serait, selon une idée
répandue, qu’il ne soit pas musulman. «On ne développe pas de
sentiment de rejet envers des minorités quand certains facteurs
sont absents : perception de danger, perception de menace,
sentiment de rivalité», souligne Nouredine Khaled. En revanche,
les comportements hostiles peuvent apparaître en cas de crise ou
d’atteinte à la dignité. «Là, l’Algérien aura une attitude
de rejet. Le fait est que cela est intimement lié à la perception
qu’il se fait de lui-même. Cela est symptomatique de la
construction qu’on fait de notre propre identité. On veut se
placer par rapport à l’autre», justifie Hocine Abdellaoui. A
l’en croire, les actes assimilables au racisme ne sont que le
reflet d’une crise identitaire en Algérie.