Le
sujet de l’esclavage en Mauritanie a fait couler beaucoup d'encre
ces derniers temps. Le discours adopté dans la majorité des récits
est rationnel et modéré, même si certains se sont laissé emporter
en véhiculant un message d’appel à la vengeance à peine voilé !
Malheureusement,
le sujet de l’esclavage est encore tabou pour certains de nos
compatriotes et exploité pour des fins personnelles et partisanes
par d’autres. C’est pourtant un sujet crucial pour la stabilité,
la paix sociale, et le progrès économique de notre cher pays.
Dans
cette modeste contribution, je vais essayer d’apporter ma pierre à
l’édifice dans un débat que ma responsabilité civique et
religieuse m’interdit de manquer.
Qu’il me soit donc
permis de critiquer nos
‘‘efforts’’
dans ce domaine durant les cinq décennies d’existence de l’état
national. Je sais que cette critique risque de m’attirer les
foudres de certains de mes compatriotes qui sont dans la négation ou
l’excès. Les réactions des uns et des autres n’ont aucune
importance s’agissant d’un problème qui menace la bonne
cohabitation et la cohésion nationale sinon l’existence même de
la Mauritanie.
La
Mauritanie,
à l’égard de tous les pays du monde, a connu l’esclavage depuis
la nuit des temps sous formes diverses et variées. Outre le facteur
économique, la diversité ethnique et la stratification en couches
sociales ont facilité l’enracinement de ce phénomène chez
nous.
Contrairement à ce que certains cherchent à nous
imposer, les racines de l’esclavage en Mauritanie
et dans toute la sous-région n’ont rien à voir avec l’islam. En
effet, pour la plupart des historiens l’esclavage est la
conséquence de certaines pratiques atroces qui furent très
répandues dans la région telles que l’enlèvement, la traite
négrière, et le commerce d’esclaves [1].
L'histoire
de l’esclavage est pour les livres, ce qui compte ce sont les
actions mises en place pour éradiquer ce fléau une fois pour
toutes. Qu’avait, alors, fait l’Etat mauritanien pour faire
disparaître une telle pratique ?
Il faut le dire et répéter
d’une manière sans équivoque, l’état mauritanien aurait dû
prendre ce sujet au sérieux dès le lendemain de l’indépendance.
Il fallait placer ce sujet au premier rang de priorités ! Hélas,
cela ne fut pas le cas, puisque toute la première génération de
nos hommes politiques avait jugé ce problème comme étant
secondaire.
Une seule circulaire (N° 08 du 05 décembre
1969) fut alors émise par les autorités de l’époque et elle ne
porte que sur la nécessité de combattre les pratiques esclavagistes
[1].
Est-ce une négligence ou une erreur d’appréciation? Peu importe
si ce n’est que, faisant ainsi, la génération du père de la
Nation, avait entamé la construction nationale sur des fondements en
déséquilibre.
Les militaires qui ont chassé le pouvoir
civil n’ont pas fait mieux en la matière si ce n’est la fameuse
ordonnance (N° 234-81 du 9 novembre 1981) portant l'abolition de
l'esclavage et promulguée par Haidallah.
Cette ordonnance n’a pas eu; cependant; l’effet escompté car son
décret d’application ne fût pas pris ! Je n’ose pas parler de
l’ère de l'ancien chef de l'état Mouayia
Ould Sid'ahmed Taya
car celle-ci fut de loin, à mon point de vue, la plus dévastatrice
pour notre unité nationale.
Il fallait attendre la chute du
régime de Taya
et la fin de la transition (2005-2007) pour voir en fin une loi (N°
048-2007) criminalisant l’esclavage. Cette loi promulguée par
l'ancien présidant
Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi,
même si elle a été saluée par la plupart des organisations
nationales des droits de l’homme, fait depuis l’objet de quelques
critiques. C’est souvent son application qui est décriée du fait
que la majorité, pour ne pas dire la totalité, des juges prennent
rarement partie pour les victimes !
L’état mauritanien n’a;
donc; même pas assuré le service minimum dans la lutte contre
l’esclavage. C’est dur à entendre mais c’est la vérité amère
! C’est pourtant moins grave que l’inefficacité et même
l’indifférence de notre élite nationale et de nos partis
politiques face à ce fléau.
En effet, l’élite
mauritanienne de la première ère postcoloniale n’a pas joué son
rôle dans l’éradication de l’esclavage. ‘‘Elle
a renoncé, volontiers ou contrainte, à sa mission dans ce domaine
et n’a fourni aucun effort significatif pour éteindre l’étincelle
avant qu’elle n’incendie toute la nation et pour retirer la
tumeur avant qu’elle n’atteint les organes vitaux de la patrie
!’’
[2].
Ainsi, tous les courants politiques de la première décennie
de l’indépendance ont adopté un discours très faible, d’une
mollesse incroyable sur le fléau de l’esclavage plus proche de la
position de courtoisie que d’une position de principe ! Aucun de
ces mouvements n’a pris une position claire condamnant l’esclavage
et appelant à son éradication [2].
Les
années 1970 ont vu naitre d’autres courants, le MND
par exemple, qui ont tenté d’aborder timidement le phénomène
chacun selon sa propre vision et ses solutions. Puis, le mouvement
Elhor
a
vu le jour à la fin des années 1970 avec pour objectif unique
l’émancipation des Haratines.
Ce mouvement dirigé par une
élite Haratine n’a pas reçu le soutien qu’il devait de la part
des autres acteurs de la scène politique et associative. Les autres
mouvements qui n’ont pas porté la cause des esclaves n’ont pas
eu le courage de supporter El
Hor pour
se faire pardonner leurs injustices envers cette composante de la
société mauritanienne.
Pire, le mouvement
El Hor qui
devait porter le flambeau pour de bon s’est vite scindé et a connu
des divisions de l’intérieur et s’est fait dompté par l’Etat
reléguant son combat au deuxième rang ! Les leaders du mouvement
qui sont les plus concernés par le fléau de l’esclavage ont vite
déposé les armes et ont opté pour le confort alléchant du haut
milieu social [2].
Ainsi, nous ne pouvons que constater que très peu de choses
ont été faites par notre élite pour régler le problème de
l’esclavage. Les positions de nos mouvements et partis politiques
varient de la méconnaissance à l’instrumentalisation en passant
par la négligence de ce fléau.
Il est vraiment triste de
constater que la majorité de nos partis et mouvements politiques ne
s’intéressent à ce sujet que dans un but politicien et
électoraliste.
Le résultat des manquements de l’Etat et
des partis politiques est que l’esclavage est toujours un sujet
d’actualité en Mauritanie.
Une honte qui est aujourd’hui synonyme de notre chère patrie
partout dans le monde. En effet, contrairement aux affirmations de Mr
Hamdi
Ould Mahjoub
président de l’agence
Tadamoune
nouvellement créée, l’esclavage existe toujours en
Mauritanie.
Certes,
cette pratique est de moins en moins visible en zones urbaines mais
existe bel et bien à l’intérieur du pays comme l’ont confirmé
plusieurs observateurs nationaux indépendants pour ne pas citer que
ceux-ci.
En plus de l’existence de certaines pratiques
esclavagistes au sein de toutes les ethnies et composantes sociales
de la Mauritanie,
les séquelles de l’esclavage sont visibles partout ! Que ce soit à
Nouakchott,
à Nouadhibou,
à Rosso,
à Kiffa,
dans les grands centres urbains ou aux villages les plus reculés du
pays, ces séquelles sautent aux yeux sauf si l’on est frappé de
cécité.
Que devons-nous faire pour contribuer à
l’éradication de l’esclavage et pour fermer les portes de la
division de notre peuple et à l’ingérence extérieure? Certains
pensent que c’est de la responsabilité de l’Etat et que personne
d’autre ne peut y contribuer. Il n’y a qu’à lire les
différentes contributions faites dans ce sens pour s’en rendre
compte : une liste de propositions du type : l’Etat doit créer,
l’Etat doit mettre en place, l’Etat doit engager des
débats…..etc. [3].
Et nous, moi et vous, qu’avons-nous
fait pour faciliter la tâche à, et non de, l’Etat ? La
Mauritanie
n’est pas notre ennemi alors aidons la chacun à son niveau. Nous
ne pouvons charger les autres de tout faire pour nous et à notre
place. En somme il faut que tout le monde y contribue et donne
l’exemple autour de lui.Avais-je sensibilisé autour de moi, au
sein de ma propre famille et de ma tribu, sur les graves atteintes
que subissent les esclaves ? Sur la gravité des séquelles de
l’esclavage ?
Quel effort de réconciliation avons-nous
fourni, chacun à son niveau, pour prévenir les discours extrémistes
et leurs dérives dangereuses pour notre pays ? Ai-je, en tant
qu’enseignant, porté une attention particulière aux enfants
Haratines de ma classe pour les aider à mieux réussir ? Ai-je donné
des cours de soutien gracieusement à ces enfants ?
Ai-je, en
tant qu’homme d’affaires, contribué à la mise en place
d’internats pilotes pour accueillir gratuitement les enfants
victimes de l’esclavage ? Quels programmes d’intervention
avons-nous mis en place pour venir en aide aux victimes de
l’esclavage aux villages ‘adwabas’
à l’intérieur ? Quelle campagne de sensibilisation avons-nous
menée pour lutter contre la ségrégation sociale ?
Avant de
demander un débat national, n’est-il pas mieux d’engager un
débat au sein de chaque famille, de chaque tribu, de chaque village
ou quartier? Avant de demander la mise en place des programmes qui
coûtent des milliards, ne faut-t-il pas donné des centaines ou des
milliers d’ouguiyas ?
Des organisations de la société
civile semblent avoir compris cette réalité. Ces organisations
font, depuis peu, un travail remarquable pour combattre ce fléau
avec des moyens très modestes mais avec des idées claires, des
objectifs nobles, et des intentions sincères. Ces initiatives
méritent le respect et l’aide de tout mauritanien digne de ce nom.
Pour ma part, je lève mon chapeau pour saluer leur travail et me
tiens à leur disposition pour tout effort à ma portée!
Références
[1]
Feuille de
Tawassoul
sur l’esclavage en Mauritanie,
2011.
[2]
http://www.essirage.net/opinions-and-analytics/11975-2013-04-21-20-41-22 [3]
Manifeste:
Pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au
sein d’une Mauritanie
unie,
égalitaire et réconciliée avec elle-même, 2013.
Mohamed Mahmoud Ould Sidi
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