La
chasse aux Noirs fait rage en Libye
Ils
sont Togolais, Nigérians, Sénégalais ou Maliens. Comme les vieux
bateaux dans lesquels ils se sont installés, ils ont échoué ici,
dans le port de Sayad situé à une vingtaine de kilomètres de
Tripoli. Après avoir fui les combats, ils luttent aujourd’hui pour
leur survie. Accusés d’être des mercenaires à la solde de
Kadhafi, ces travailleurs noirs africains ont été menacés,
brutalisés et entièrement dépouillés. Ils sont plus d’un
millier à être restés à quai.
Balthazar est
arrivé dans cette ancienne garnison italienne il y a trois semaines.
Comme bon nombre de ses compagnons de galère, ce Nigérian de 23 ans
a élu domicile à l’ombre de la coque d’un bateau. Impossible de
respirer à bord des rafiots, les températures frisent les cinquante
degrés.
Nulle
part où aller
Il
y a peu, Baltazar était employé comme manutentionnaire dans le port
de la capitale libyenne. Il y travaillait depuis quatre ans. Avec la
révolution, sa vie a basculé. Il a perdu son job, avant de se faire
chasser de sa maison. «Des hommes armés ont débarqué chez moi en
plein après-midi. Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient plus de nous
ici. Ils m’ont pris mes affaires, mon argent, mon téléphone
portable et m’ont dit de dégager», raconte le jeune homme qui
avoue se sentir plus en sécurité ici – malgré des conditions de
vie inhumaines – qu’en ville. «Nous devons quitter la Libye,
mais nous n’avons plus rien et surtout nulle part où aller!»
Rentrer au pays? Impensable, rétorque le jeune homme. «On a besoin
de travailler! Qui va nourrir nos familles? Qui va leur envoyer de
l’argent tous les mois ?»
Pas
de bateau
Avant
la guerre, la vie n’était pas tous les jours facile, «on n’était
pas toujours payé, mais on n’a jamais été menacé de mort.
Aujourd’hui, ils sont sûrs que tous les noirs sont des
mercenaires. Et on a beau leur dire qu’on n’a rien à voir avec
ces gens-là, ils ne nous croient pas !»
En rejoignant
Sayad, certains réfugiés comme John, un Togolais de 35 ans qui
partage un bateau avec 25 camarades depuis deux mois, imaginaient
pouvoir s’enfuir en Europe par la mer. Il a vite déchanté.
«Regardez autour de vous! Il n’y a aucun bateau en état de
naviguer. Et aucun d’entre nous ne serait capable de s’orienter
au milieu de la Méditerranée. Prendre la mer, c’est la mort
assurée. En restant ici, on a peut-être une chance d’obtenir de
l’aide.»
Agressés
toutes les nuits
Wallas,
son jeune frère de 28 ans précise que le Vieux-Continent n’est
pas un but en soi. «Le Japon me conviendrait aussi! Ce que nous
voulons, c’est aller dans un pays où on pourrait travailler pour
gagner notre croûte sans risquer notre peau, c’est tout.»
L’assemblée qui assiste à la conversation approuve à
l’unanimité.
«Toutes les nuits, nous sommes agressés
ici. Des hommes viennent avec leurs kalachnikovs, ils tirent en
l’air, ils nous menacent et violent nos femmes…» Silence. En
face, Ayad est assise au bord du quai. La jeune Malienne de 22 ans
regarde dans le vide. Elle n’a pas envie de parler. A ses pieds,
une casserole et la tête d’une vache envahie par les mouches.
Comme la centaine de femmes condamnées à survivre dans ce camp,
elle va tenter une fois de plus l’impossible pour faire bouillir la
marmite. Tandis que trois cents mètres plus loin, devant le bâtiment
de béton qui sert de dispensaire aux humanitaires de Médecins sans
Frontière (MSF), seule ONG à porter secours actuellement à ces
réfugiés, la file d’attente ne cesse de grossir. A l’intérieur,
deux médecins et une psychologue enchaînent les consultations. Nous
ne pourrons pas les rencontrer. L’urgence est ailleurs. Et elle
saute désespérément aux yeux.
Source : La Tribune de
Genève, - Mardi 6 septembre 2011.
<http://www.tdg.ch/actu/monde/chasse-noirs-fait-rage-libye-2011-09-06>
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