Mise en place, en juillet 2001, la Commission nationale des droits de l'homme,
qui a un rôle consultatif et de promotion des droits de l'Homme, a
récemment visité quelques centres pénitenciers de Nouakchott. Le compte-rendu
de la mission est accablant.
Outre les conditions carcérales insupportables, la majorité des prévenus
seraient arbitrairement détenus sous le couvert d'une détention
préventive, étendue par les juges parfois à des années…La CNDH
risque donc d'avoir du pain sur la planche pour s'acquitter de sa
mission. Attention alors aux éventuelles frictions avec les autorités
politiques !
Un détenu de droit commun ne rentre certainement pas dans un hôtel cinq
étoiles quand il doit purger sa peine. Mais en Mauritanie, la réalité de la
pratique, d'ailleurs dénoncée par le dernier rapport du département
d'Etat américain, donne des sueurs froides. L'univers carcéral est
probablement la face hideuse la mieux cachée dans notre pays.
Dans les familles également, on taire souvent ceux qui sont dans les
cachots. On évite d'en parler parce qu'ils sont "la honte" de la famille.
Depuis toujours malheureusement que ceux qui finissent dans la coercition
de la prison sont des êtres humains. On oublie également que la fonction
première d'un centre de détention est d'aider les personnes concernées à
réapprendre à vivre en société ; à respecter les interdits. En un mot à
se conformer au contrat social.
Mais en Mauritanie,
comme dans tant d'autres pays africains notamment -maigre excuse- les
personnes condamnées à purger une peine en ressortent encore plus
aguerries. Encore plus violents. Et le travail de la police n'en est que
plus confus au regard du maintien de ces personnes parmi lesquelles une
population mineure.
Le dernier rapport d'investigation de la Commission nationale des droits de l'Homme
est en tout cas éloquent quant aux dépassements enregistrés face à êtres
humains déjà exclus par leur propre milieu.
L'urgence de la situation
Le rapport préparé par trois membres de la Commission
nationale des droits de l'Homme attire l'attention sur la gravité de la
situation. En effet, sur les 742 détenus, à la prison centrale, seuls 150
d'entre eux ont effectivement été condamnés. Il y a un abus certain dans
la détention préventive concernant 632 personnes détenues sans
jugement. Chez les femmes, le bilan est guère plus rassurant. Sur 29
femmes détenues, seules quatre d'entre elles ont été condamnées suite à
un procès. Les 25 autres croupissent encore sous le sceau de la détention
préventive. Idem pour la prison des mineurs là où encore les autorités
auraient été plus regardantes en cette ère d'abus de tout genre sur cette
population. Ils sont 27 mineurs dont 6 seulement sont condamnés par les
tribunaux.
Les rédacteurs de la CNDH ne se
doutent pas sur la nature arbitraire de ces détentions et les dénoncent.
Mais si les enquêteurs de la
CNDH
témoignent favorablement en faveur du régisseur de la prison centrale,
qui aurait intercédé auprès du procureur pour la libération des prévenus
dont la durée de dépôt a excédé un mois, ils estiment, par contre que la
réponse au régisseur du procureur, un mois après, proroge elle-même ce
mandat de dépôt déjà critiquable du point de vue de sa régularité. Mais
le procureur n'est pas la seule autorité judiciaire indexé par ce rapport
d'investigation de la Cndh. Les
juges d'instruction ne sont pas en reste car leurs mandats de dépôts
ordonnés sont de six mois au plus alors que sur les 632 prévenus, la
détention préventive appliquée a dépassé trois ans.
En plus de ces incohérences judicaires, le rapport dénonce l'absence de
tout fichier judiciaire pouvant permettre de juger de la période de
détention. Le régisseur de prison est souvent confronté à une demande
expresse du prisonnier pour en rappeler l'autorité judiciaire qui l'a
envoyé en prison. Le rapport de la CNDH
établit même que la présomption d'innocence qui devait servir aux
prisonniers se retourne contre eux et devient, selon leurs termes, en "présomption de culpabilité"
et même de violations flagrantes de droits de l'Homme.
Là aussi, il faut se rendre à l'évidence que les prisonniers dont il
s'agit sont souvent issus de milieux déshérités alors que les fils des
riches peuvent trafiquer la drogue, attenter au respect des auxiliaires
de Justice, sans être inquiétés le moins du monde. C'est en quelque
sorte, une Justice à deux paliers.
Exceptés les proches parents, les pensionnaires de ces centres, coupables
ou non, sont souvent oubliés par les autres. Ces "damnés" de la société
n'intéressent que très peu de gens. Il s'agit le plus souvent d'Ongs caritatives qui
apportent leur maigre contribution pour alléger le lourd fardeau des
détenus.
Alerter les autorités
Le rapport provisoire adressé au président de la Commission nationale des Droits de l'Homme
l'invite à saisir le président du conseil supérieur de la magistrature
pour "ordonner"
la réalisation immédiate d'un inventaire et d'un recensement judicaire de
tous les détenus, d'ordonner la libération immédiate de tous les détenus
préventifs dont la période légale de validité des mandats a expiré et
d'ordonner, pour l'avenir, aux juridictions concernées de juger les
prévenus dans les délais impartis par la loi.
Enfin, les missionnaires de la
CNDH
rappellent l'importance de l'implication du ministère de la santé pour la
prise en charge des examens et de soins médicaux éventuels.
JD
le 19/03/2008
Source: Le
Quotidien de Nouakchott