MAURITANIE: Mariage précoce,
quand la tradition devient trafic
Le mariage précoce de jeunes Mauritaniennes, âgées
d’à peine six ans pour certaines, à des hommes des Etats du Golfe est en
train de devenir un trafic juteux à mesure que cette pratique matrimoniale
typiquement rurale est exportée vers les villes, selon les familles urbaines.
« C’était auparavant répandu en milieu rural, mais désormais, les mariages
précoces sont plus développés dans les zones urbaines, où ils sont devenus un
nouveau commerce », a indiqué Sidi Mohamed Ould Jyyide, sociologue à
Nouakchott, la capitale. « Une famille peut faire fortune en vendant sa
fille à un homme riche. Le mariage précoce est presque une garantie de profit
en un rien de temps ».
Selon le sociologue, ce qui était auparavant une pratique culturelle impliquant
uniquement l’échange de présents symboliques est devenu un véritable commerce
essentiellement pratiqué par des familles urbaines pauvres, qui tentent de
vendre leurs filles en mariage à des familles riches.
En fonction de la beauté et de l’âge de la fillette - plus elles sont jeunes,
plus elles ont de valeur- sa famille peut demander entre 4 000 dollars et
plusieurs dizaines de milliers de dollars, selon M. Jyyide.
« Les contrebandiers sont prêts à payer tous les frais de voyage et
d’hébergement de ces fillettes », a-t-il ajouté.
Ces « contrebandiers » sont soit des intermédiaires rémunérés, qui travaillent
pour le compte d’hommes à la recherche de jeunes épouses, soit les membres des
familles de ces fillettes.
Oumelkhary Mint Sidi Mohamed, 14 ans, a raconté que lorsqu’elle avait
huit ans, son père l’avait emmenée loin d’Adel Beghrou, son village, situé près
de la frontière entre la Mauritanie et le Mali, et l’avait confiée à une tante
à Nouakchott, qui l’avait conduite jusqu’en Arabie saoudite.
Oumelkhary a expliqué à IRIN que les rêves de fortune de sa famille
s’étaient transformés en cauchemar pour elle, lorsqu’elle avait été violée par
un cousin alors qu’elle attendait d’être présentée à de riches prétendants, en
Arabie saoudite.
« [Pour sauver la face], ma famille s’est arrangée avec lui pour qu’il fasse de
moi sa femme et me ramène au pays [en Mauritanie] », a confié Oumelkhary à
IRIN. « Je me suis retrouvée servante chez lui. Il a commencé à me battre dès
que ma famille est partie. J’ai parlé à mon père de mes souffrances incessantes
pour mettre fin à cette terrible relation ».
Mais même après que sa famille fut intervenue pour l’aider à obtenir le divorce
un an après son mariage, a-t-elle poursuivi, son père a tenté de nouveau de la
vendre en mariage en Arabie saoudite.
Rabie Ould Idomou, un ami de la famille, a expliqué à IRIN qu’il était alors
intervenu et avait adopté Oumelkhary afin de pouvoir devenir son tuteur légal
et veiller à ce qu’elle reste en Mauritanie. « Elle doit se remettre [du
traumatisme de son enfance] en toute justice et en toute tranquillité », a-t-il
estimé.
M. Idomou a expliqué à IRIN qu’après avoir obtenu l’approbation du père de la
fillette, il tentait aujourd’hui de l’inscrire à l’école.
La loi de qui ?
Si l’âge légal du mariage est de 18 ans en Mauritanie, en vertu du code
national de la famille, nombre d’habitants de ce pays essentiellement peuplé de
musulmans observent un code religieux tout autre.
« Il est acceptable, dans la religion musulmane, d’épouser une fillette de
six ans, mais tout contact physique doit attendre qu’elle ait atteint sa
maturité biologique », a expliqué à IRIN Hamden Ould Tah, secrétaire
général de l’Association des oulémas (érudits musulmans) de Mauritanie.
Selon Hussein Ould Medo, analyste culturel, auteur et professeur, les mariages
d’enfants sont encore monnaie courante en Mauritanie et peuvent être considérés
comme le moyen de rejeter ce que certains perçoivent comme les maux de la
modernisation. « C’est une façon de lutter contre un changement radical ou
contre une modernisation négative ».
Selon une source du gouvernement, il est difficile de déterminer le taux de
mariages précoces en Mauritanie.
« On ignore le taux véritable de ces mariages car la plupart des cas ne sont
pas déclarés en tant que mariages officiels et parce qu’il n’existe aucune
statistique au [ministère de la Promotion des femmes et des familles] », a
expliqué Aminetou Mint Takki, directrice au ministère, ajoutant que tout cas de
non-respect de l’âge légal du mariage, tel qu’il a été fixé dans le code de la
famille, serait sanctionné.
Toutefois, cette loi n’est guère utile pour certaines filles du pays, à en
croire Aminetou Mint Moctar, présidente de l’Association des femmes chefs de
famille. « i[Le [code de la famille] n’est pas appliqué pour protéger les plus
pauvres et les personnes sans instruction ]i».
Ainsi, en 2006, plus de 14 millions de filles de moins de 18 ans ont été
forcées à se marier en Afrique subsaharienne, selon les Nations Unies.
Oumelkhary a confié à IRIN qu’elle espérait être la dernière victime de ces
mariages précoces. « J’espère jouer et aller à l’école comme tous les enfants.
Je ne pardonnerai jamais mon père ni mon cousin pour ce qu’ils [m’ont] fait. Je
prie pour être la dernière fille à endurer cette douleur et cette humiliation
».
IRIN
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