Droits de l’Homme/Torture: La Mauritanie pointée du doigt.
Sous le thème accusateur «
la torture au cœur de l’Etat », l’organisation de défense des droits de
l’Homme, Amnesty International vient de publier son rapport 2008 sur l’état de
la torture en Mauritanie.
« J’ai été arrêté chez moi vers 5 heures du matin, le 1er mai 2008, par un
groupe d’environ dix policiers et militaires en tenue officielle. Deux d’entre
eux portaient des tenues de sport. Ils ont cassé les vitres et pointaient les
armes en direction de ma chambre à coucher.
Ils m’ont mis un bandeau sur les yeux, m’ont menotté les mains dans le dos
et m’ont emmené dans un lieu que je ne connaissais pas. Ils m’ont enfermé dans
les toilettes et m’ont laissé là pendant deux jours, menotté et avec un bandeau
sur les yeux. Le troisième jour, vers 4 heures du matin, ils ont commencé à
m’interroger alors que j’étais fatigué car je n’avais pas pu dormir.
Ils m’ont attaché les mains et les pieds
derrière le dos. Ils m’ont suspendu en l’air durant dix à quinze minutes.
Régulièrement, quand ils sentaient que j’allais m’évanouir, ils me
redescendaient, puis me suspendaient à nouveau. Ils m’ont demandé si
j’appartenais au groupe de salafistes.
Les séances de torture, entrecoupées d’interrogatoires, ont
duré une semaine. Cela se passait entre 3 heures et 9 heures du matin. J’ai été
frappé sur toutes les parties du corps et j’étais obligé d’être courbé car ils
avaient attaché mes mains et mes pieds à une chaîne. J’ai finalement avoué et
reconnu tout ce dont ils m’accusaient ».
La
torture, une vieille pratique des années d’exception.
Ce témoignage recueilli par Amnesty International lors de deux missions
d’enquêtes effectuées en Mauritanie en février-mars puis juillet 2008,
donne le frisson. Plus grave, l’homme qui a accepté de témoigner, avait été
détenu en garde à vue durant 26 jours avant d’être libéré sans qu’aucune charge
ne soit retenue contre lui.
Un témoignage édifiant qui convainc l’organisation du «
recours systématique à la torture par les forces de sécurité à l’encontre aussi
bien de détenus de droit commun que de militaires accusés, au cours des
dernières années, de tentatives de coup d’état.
Amnesty international indique également que « parmi ces victimes figurent
des personnes soupçonnées de liens avec des groupes islamistes accusés d’actes
de terrorisme, notamment le groupe Salafiste pour la Prédication et le
Combat (GSPC), un groupe armé principalement actif en Algérie,
devenu en 2007 l’Organisation Al-Qaïda pour le Maghreb Islamique.
« La torture est utilisée pour extorquer des aveux durant la garde à vue mais
également pour humilier et punir des détenus incarcérés dans des prisons »,
dit l’organisation qui précise que la torture a été érigée en véritable système
d’enquête et de répression de l’appareil sécuritaire. Selon elle, la torture
est profondément ancrée dans la culture des forces de sécurité qui agissent
dans une totale impunité. Un fléau qu’elle dit être cautionné par certaines des
plus hautes autorités de l’Etat.
Le rapport, signale t-elle, est le résultat de deux enquêtes
menées sur le terrain par des délégations d’ Amnesty International en
février-mars puis juillet 2008.
A cette occasion, les délégués ont interviewé de nombreux prisonniers et
détenus qui se trouvent dans les prisons de Dar-Naïm à Nouakchott
et de Nouadhibou. Des ex détenus ont été également entendus. Ainsi,
expose le rapport, les délégués ont recueilli des dizaines de témoignages de
torture et de mauvais traitement commis par des agents des forces de sécurité
qui usent délibérément de violences physiques dans les heures ou les jours qui
suivent l’arrestation.
Des
agents de sécurité marocains ?
Cette pratique systématique de la torture, signale Amnesty dans son
rapport, est rendue possible par la procédure relative à la détention qui
prévoit, d’après elle, en matière d’atteinte à la sécurité de l’Etat, le
maintien des suspects en garde à vue pendant un minimum de 15 jours, délai
considérable qui est lui-même régulièrement dépassé. Le rapport indique que ces
actes de torture sont non seulement le fait de policiers et de militaires mais
aussi des gardiens de prison.
Amnesty précise dans ce rapport que dans certains cas d’actes de terrorisme,
des agents de sécurité marocains ont participé aux interrogatoires et aux
tortures. Selon la plupart des témoignages de victimes, note le rapport, la
majorité des sévices sont commis durant la période de garde à vue dans des
locaux officiels et non officiels de la police et dans les casernes militaires.
Ils ont pour but, selon le rapport, d’extorquer des «
aveux » qui constituent souvent le seul moyen utilisé par la police,
l’armée et le ministère public pour établir la culpabilité d’un suspect. Des «
aveux », indique le rapport, arrachés sous la torture et les mauvais
traitements qui ont été déclarés recevables par les tribunaux comme éléments de
preuves, même en cas de rétraction, ou lorsque qu’il existe des motifs de
croire que ces déclarations ont été obtenues sous la contrainte.
Différentes
techniques de torture.
Dans ce rapport détaillé, il est fait cas des techniques de torture recensées
par l’organisation de défense des droits de l’homme, Amnesty International
au cours de ses missions de recherche dans le pays. Selon elle, elles sont très
nombreuses et comprennent notamment le privation de sommeil, les brûlures de
cigarettes, la suspension des détenus à une barre métallique (technique dite du
« jaguar »), les coups et la torture psychologique.
Par ailleurs, Amnesty dit que la torture et autres
mauvais traitements sont commis par les forces de sécurité en toute impunité.
Selon elle, bien que des prisonniers se soient plaints de ces actes auprès des
juges d’instruction et des tribunaux devant lesquels ils comparaissaient, à sa
connaissance, l’organisation dit qu’aucune enquête n’a été encore diligentée
sur ces allégations.
Le rapport signale qu’à de très nombreuses reprises, Amnesty International
a exprimé dans le cadre de rencontres officielles avec les autorités
mauritaniennes, ses préoccupations concernant les sérieuses allégations de
torture en Mauritanie sans obtenir de ces dernières de réponses
satisfaisantes quant à l’ouverture d’enquêtes impartiales.
L’organisation s’est notamment
entretenue, en juillet 2008, avec le ministre de la justice de l’époque, Yahya Ould
Sid’El Moustaph, qui a précisé que les responsables de l’ordre ne
recouraient jamais à la torture de manière « gratuite » mais qu’on ne
pouvait pas « utiliser des méthodes qui ne font pas mal » avec les
assassins.
Amnesty International a lancé un appel aux nouvelles autorités
mauritaniennes à condamner, publiquement et sans délai, le recours à la torture
et autres traitements, à traduire en justice les auteurs présumés de ces actes
et à mettre fin à cette pratique cautionnée au cœur même de l’Etat. (Nous
reviendrons sur les recommandations à l’adresse des autorités mauritaniennes)
Compte
rendu Moussa Diop
source : Le Quotidien de
Nouakchott
Tiré de www.cridem.org
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