Aimé Césaire,
patriarche de la négritude
Par Claude CASTERAN AFP -
PARIS (AFP) - Père
du célèbre concept de négritude - la conscience d'être noir -, le
Martiniquais Aimé Césaire, décédé jeudi à 94 ans, a consacré sa longue vie
à la poésie et à la politique.
Solidaire du monde noir et de sa révolte
contre le colonisateur, il se disait "fondamentalement poète, mais
poète engagé" et "nègre, nègre, depuis le fond du ciel
immémorial".
Fêté à l'université, célébré à la Comédie-Française,
écrasante figure de la société martiniquaise, Aimé Césaire a écrit une
oeuvre véhémente et revendicative, parfois proche du surréalisme.
Maire de Fort-de-France de 1945 (il
n'avait que 32 ans) à 2001, député de 1946 à 1993, président du Conseil
régional de Martinique, il avait quitté la présidence du Parti progressiste
martiniquais (PPM) en 2005.
Le
contraste était frappant entre la flamboyance de son écriture et le style de
l'homme-Césaire, sanglé dans un strict complet et portant de grosses
lunettes d'écailles.
Ses
détracteurs l'appelaient "nègre costume-cravate-latin-grec" et
ironisaient sur ses manières très "vieille France". Mais tout le
monde le respectait et voyait bien qu'il portait sa terre natale à la
semelle de ses souliers.
Né
à Basse-Pointe le 25 juin 1913, ce fils surdoué d'un inspecteur des impôts
est encouragé aux études par les professeurs du lycée Schoelcher de
Fort-de-France.
A
Louis-le-Grand, à Paris, il rencontre Léopold Sedar Senghor, le futur
président sénégalais. Il rejoint Normale sup et lance, en 1932, la revue
"L'Etudiant noir" où, pour la première fois, des écrivains noirs
réfutent les modèles littéraires traditionnels.
En
1939, il fait une entrée fracassante en poésie avec "Cahier d'un
retour au pays natal", employant, encore une première, le terme de
"négritude". C'est, dit-il, "la conscience d'être noir,
simple reconnaissance d'un fait qui implique acceptation, prise en charge
de son destin de noir, de son histoire et de sa culture". Senghor a
assuré que c'est Césaire qui a inventé ce mot mais ce dernier préférait
parler de "création collective".
"Il
manie la langue française comme il n'est pas aujourd'hui un blanc pour la
manier", disait André Breton en 1941.
En
1946, il est rapporteur de la loi sur "la départementalisation"
de la Martinique,
Guadeloupe, Guyane et Réunion. En 1957, il fonde le PPM, un an après sa
démission du PCF, rallié après la
guerre.
Lauréat du Grand prix national de
la poésie (1982) et du prix des poètes de la SACEM (1995), Césaire a
écrit des pièces comme "La
Tragédie du roi Christophe" (1963, sur la
décolonisation) ou "Une saison au Congo" (1966, sur Patrice
Lumumba).
En
poésie, il a signé "Les Armes miraculeuses",
"Cadastre", "Soleil cou coupé", "Corps perdu"
ou "Moi laminaire".
Césaire
a aussi été polémiste avec son "Discours sur le colonialisme",
texte virulent contre l'Occident, juché sur "le plus haut tas de
cadavres de l'humanité" ou "Lettre à Maurice Thorez".
Nombre d'intellectuels africains ou caribéens ont grandi "dans le
culte de Senghor et de Césaire", selon le mot du secrétaire général de
la Francophonie,
Abdou Diouf. Pourtant, dans les Antilles, les "fils" turbulents
de "Papa Aimé", comme les écrivains Patrick Chamoiseau, Edouard
Glissant ou Raphaël Confiant, ont entrepris depuis une douzaine d'années de
déboulonner la statue Césaire.
Pour eux, ce n'est plus la "négritude" ou l'Afrique
"fantasmée" par Césaire qui est pertinente pour sonder l'identité
antillaise mais la "créolité", qui est un métissage des hommes et
des cultures.
"Je
leur apporte un monde: l'Afrique. Ils m'apportent un monde: la Caraïbe. Vous
trouvez que ce sont les mêmes proportions? La créolité, fort bien, mais ce
n'est qu'un département de la négritude", estimait le maire-poète.
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Hommage
du Collectifdom à Aimé Cesaire
Après avoir marqué de son empreinte
la littérature du 20ème siecle Aimé CÉSAIRE,
le Nègre Fondamental s’en est définitivement allé marronner laissant
orpheline son île natale.
Le démiurge qui donne vie au concept
de Négritude,l’éssayiste du discours
sur le colonialisme, l’auteur du cahier
d’un retour au pays natal, le dramaturge de la tragédie du roi Christophe a su révéler par delà les
frontières, l’humanisme de l’âme antillaise; le caractère hors du commun du
destin de son peuple.
Confrontant sa geste poetique à la réalité sociale,Aimé
CESAIRE entretiendra de 1945
a 2001 une relation passionnelle avec la ville de Fort
de France.
Sous son impulsion et celle de ses
compagnons de route tels que André ALIKER,
Camille DARSIERES et tous les
autres,les quartiers de La
Volga, Trénelle,Texaco et Sainte Thérese et tant d’autres
furent circonscrits dans un projet d’assainissement urbain.
Le rapporteur de la loi sur la départementalisation,
celui qui n’a eu de cesse de se battre pour que le Nègre conquièrt sa
liberté, s’en est allé rejoindre au panthéon des hommes libres, DELGRES, IGNACE Toussaint Louverture,FELIX
EBOUE,GASTON MONNERVILLE et
Martin Luther King .
lors, que tous fassent silence, que même les
chiens se taisent :
Le fils se rebelle ; sa propre mère l'en
dissuade :
_La mère : ...un désert de béton, de
camphre, d'acier, de charpie, de marais désinfectés, un lieu lourd miné
d'yeux de flammes et de champignons...
_Le rebelle : Un pays d'anses de palmes
de pandanus...un pays de main ouverte...
_La mère : Voyez, il n'obéit pas...il ne
renonce pas à sa vengeance mauvaise...il ne désarme pas.
_Le rebelle, dur : Mon nom :
offensé ; mon prénom : humilié ; mon état :
révolté ; mon âge : l'âge de la pierre.
_La mère : Ma race : la race
humaine. Ma religion : la fraternité...
_Le rebelle : Ma race : la race
tombée. Ma religion... mais ce n'est pas vous qui la préparerez avec votre
désarmement... c'est moi avec ma révolte et mes pauvres poings serrés et ma
tête hirsute
Pour le Collectifdom
Daniel DALIN
Président
Merci de partager
cet hommage .
HOMMAGE A AIME
CESAIRE…LE MAÎTRE DES TROIS CHEMINS
« …
c'était en 1932, à peu prés, je suis allé m'inscrire à la Sorbonne… le lendemain,
à Louis-Le-Grand, je fais la connaissance de Senghor… pendant cinq ou
six ans, nous ne nous sommes pratiquement pas quittés, et il a eu une grosse
influence sur moi. Il m'a aidé à analyser et à gommer ce côté négatif qui
était ma haine d'une société martiniquaise… profondément aliénée… Senghor m'a
révélé tout un monde, ça été pour moi la révélation de l'Afrique… il
remplissait le vide que j'éprouvais… par lui, j'ai très bien senti que mon
vrai monde, c'était quand même le monde africain…J'ai débouché sur la poésie,
parce que c'était un moyen d'expression qui s'écartait du discours rationnel.
La poésie, telle que je la concevais, que je la conçois encore, c'est la
plongée dans la vérité de l'être. Si notre être superficiel est européen, et
plus précisément français, je considère que notre vérité profonde est
africaine. Il s'agissait de retrouver notre être profond et de l'exprimer par
le verbe : c'était forcément une poésie abyssale…cette poésie était arme
parce que c'était le refus de cet état superficiel et le refus du monde du
mensonge… c'était la plongée en moi-même et une façon de faire éclater
l'oppression dont nous étions victimes. C'est un peu comme le volcan :
il entasse sa lave et son feu pendant un siècle, et un beau jour, tout ça
pète, tout cela ressort… Et c'était ma poésie, c'était ça « Cahier d'un
retour au pays natal » !
C'est Aimé Césaire qui
nous parlait.
Il nous aide ainsi à mieux le connaître, à être son complice et son compagnon
de voyage dans cette vie si remplie qui fut la sienne. Combien de
poètes cherchent encore du front, les mêmes étoiles ?
Est-il possible de parler « normalement » de poètes et d'écrivains
comme Césaire, Senghor ? Difficile ! Ils prennent tellement de
place, ils ont pris tant de place en nous et souvent même à notre insu,
tellement leurs œuvres sont fortes, leur époque magique, leur personnalité
immense, leur poids politique marquant ! J'entends le Président
Wade nous dire, lors d'une rencontre, « Arriver au sommet de l'Etat vous
aide sans doute plus vite à réaliser concrètement les rêves, les objectifs de
votre combat politique, social, intellectuel ». Il n'a pas tort !
Comment nous, poètes et écrivains présents au monde en ce mois d'avril 2008,
pouvons-nous aider ou participer à la mise en place de pouvoirs et de
systèmes sociaux, culturels et politiques conformes à nos écrits, à nos
idéaux ? Avons-nous ce poids-là, aujourd'hui, comme hier Césaire,
Senghor et tous les autres qui ont tant pesé sur la construction d'une
Afrique en devenir ? Que Césaire et Senghor aient assumé d'autres charges
autres que littéraires, a-t-il pesé sur ce qu'ils ont été ? Leurs
messages ont-ils été mieux véhiculés, mieux entendus parce qu'ils
étaient relayés par l'action et le rayonnement politiques ? La
réponse est évidente, mais elle n'ajoute rien à leur mérite.
Ces interrogations posent notre condition de poètes et d'écrivains, notre
raison même d'écrire dans des sociétés en mutation, des sociétés en crise où
la pauvreté et la précarité les rendent sourdes, où l'on entend de moins en
moins la voix des créateurs, à moins qu'on l'entende mal. Le monde a
changé !
Césaire lui-même s'était posé la
question, ou avait plutôt posé le débat dans son intervention au 2ème
Congrès des écrivains et artistes noirs d'avril 1959. Ecoutons-le encore:
« J'ai pensé, dit-il, que les quelques considérations que je
devais émettre pourraient porter sur un sujet : celui de la légitimité
de notre activité d'écrivains et d'artistes noirs, et celui complémentaire,
des responsabilités qui nous incombent à nous, hommes de culture, dans la
double conjoncture du monde et de nos pays particuliers ». Nous devrions
nous poser la même question, nous poètes, écrivains et hommes de culture de
ce temps de l'Afrique et de nos peuples. Voilà comment et pourquoi Césaire
nous est utile. Il nous met face à nous-mêmes, face à nos responsabilités de
créateurs et de citoyens. Nous ne pouvons pas nous y dérober. En effet,
comment vivre, comment assumer nos missions, comment écrire, évoquer notre
Afrique d'aujourd'hui avec ses joies et ses malheurs, car elle ne vit pas
seulement de malheurs, comment évaluer sa marche démocratique irréversible,
ses rêves, ses espoirs de paix et de développement ? Devons-nous aller
plus loin dans l'engagement et quel sorte d'engagement ? Devons-nous laisser
brouiller notre image ? Devons-nous être distants, sommes-nous lâches ou
avons-nous raison d'être militants du pouvoir politique ? Par quelle
voie faire mieux et faire vite prévaloir nos idées ? Ou bien nos idées
sont-elles toutes périmées, mortes ? La question est-elle mal
posée, ou bien ce n'est pas là le véritable rôle du poète, de
l'écrivain, de l'intellectuel ? Pour ma part, la littérature n'est pas
la politique, mais elles peuvent se rejoindre pour un moment.
Césaire,
ce fils du volcan, nous a laissés de belles certitudes. Les grands poètes
meurent toujours pour nous ! C'est bien le volcan, c'est bien cette
image-là qui renvoie et caractérise dans sa nature éruptive et ardente
l'œuvre du fils de la
Martinique. Même ceux qui ne l'ont pas lu, ont eu des échos
de son chant général, ou se sont accrochés à sa légende, à cette montagne de
feu que constitue son œuvre. Césaire est un cri qui n'épargne même pas
l'oreille du profond dormeur. Césaire est un feu debout qui brandit des lances
et des fusils qui hurlent tout le long des pages, tout le long de notre
esprit. La poésie de Césaire est cardiaque. Il est difficile de soutenir le
rythme cardiaque d'un poème de Césaire. On a besoin souvent de répit, de
repli ; on a souvent besoin de rebrousser chemin, de résister aux flots,
mais l'on ne peut plus s'arrêter. L'asphalte des pages est brûlant mais on y
marche, on y laisse ses yeux et ses oreilles. Les vers sont si beaux, si
chargés, si furieux que la compréhension ou non des mots vous laisse toujours
dans la fascination. Les images vous rendent si ivre, que tout
tourbillonne. Les torrents de métaphores de Césaire sont des raz
de marée. Césaire est un ouragan et sa poésie est « précise comme
des poignards » ! Jean Paul Sartre, dit : « Un
poème de Césaire éclate et tourne sur lui-même, comme une fusée, des soleils
en sortent qui tournent et explosent en nouveau soleil… » Ce que la
poésie de Césaire dit et clame est la respiration même de notre race, de
notre civilisation. Cette poésie marque notre place, notre marche altière
dans l'histoire de l'humanité. Césaire nous a rendu notre dignité. Il nous
fait marcher la tête haute. Son œuvre est l'une des meilleures et
irremplaçables plaidoiries de la race noire. C'est cette poésie là qui a balisé
la route des politiques pour les luttes d'indépendance. C'est elle qui a
avalisé les politiques avant les luttes de libération. La prose de Césaire
n'est pas en reste : son théâtre, ses essais savent être plus subversifs
que dix attentats ! Jamais un tel poète nègre n'a su autant
réveiller les cœurs, bander les consciences. Cheikh Anta Diop a salué
son génie et dit la part irremplaçable qu'il laissera.
Quand plus tard les jeunes loups sont arrivés, l'insulte à la bouche,
contre l'homme politique, maire de Fort de France, celui qui ne voulait
pas de l'indépendance de son île dit-on, son île si petite pour espérer
prospérer seule économiquement, répondit, lucide et courageux : « Prenez
ma poésie comme une revanche sur ma politique ! » L'indépendance,
la vraie, pour Césaire, est de se décoloniser culturellement. Là fut son vrai
et profond combat. Ecoutons-le : « … les chaînes qui nous
tiennent ne sont pas des chaînes ordinaires : ce sont des chaînes
intérieures (…) nous sommes des transplantés qui avons été soumis pendant
près de deux siècles à un effroyable processus d'assimilation, donc de
dépersonnalisation. Et il y a eu ce traumatisme qu'a été la traite des noirs.
Les africains, c'est tout à fait différent :ils ont conservé leur civilisation…
leur religion, le contact avec leur terre, avec leurs mythes, avec leur
folklore et puis ils ont conservé leur langue, d'où une assurance
psychologique à laquelle ne peuvent pas prétendre les Martiniquais… »
Ce que Césaire nous a
apporté comme poète est immense. C'est pour quoi il mérite l'hommage de
ce jour, après son sommeil pour toujours. Nous qui sommes d'une autre
génération, nous n'avons pas le droit de moins faire, mais le devoir de faire
plus. Mieux : dépasser nos aînés dans le sens où Senghor définissait le
mot : « dépassement n'est pas supériorité, mais différence
dans la qualité ». Nous le savons, il a prêté à Senghor le concept de
Négritude. La
Négritude de Césaire serait-elle différente de celle
de Senghor ? « Césaire n'est pas un homme de conciliation dans la
mise en relief de la négritude » nous dit Jacques Rabemananjara, le
poète malgache. Il poursuit : « … la prise de conscience se
mesure, à ses yeux, à sa capacité de colère et d'offensive. Il y a chez
Césaire « une force anti-entente et anti-apaisement ».
Il reste le reste, c'est-à-dire le socle dur et le poids réel de nos œuvres,
nous de la nouvelle génération. Serons-nous des poètes et des écrivains
durables ou provisoires? Quelle place prendront nos œuvres dans
l'histoire de notre pays, de notre continent, dans le patrimoine
littéraire de l'humanité ? Seule la solidité de notre travail de
création répondra pour nous !
Sans nul
doute, qu'Aimé Césaire prendra une place de choix à l'occasion du prochain
Festival mondial des arts nègres dont il est le parrain. Le président de la République du Sénégal
qui s'apprêtait à aller lui rendre visite, aura bien de la peine à apprendre
que la corne du taureau est hélas arrivée. Mais je souhaite que le Président
Wade fasse ce voyage, qu'il aille s'incliner devant la tombe de Césaire,
qu'il le mettre dans le panthéon de la Place du Souvenir à Dakar, qu'il annonce en
terre martiniquaise que le Sénégal a créé un Grand Prix littéraire Aimé
Césaire pour perpétuer la mémoire du grand poète.
En relisant Césaire cette nuit, j'ai compris que « la poésie sait
qu'elle doit se défendre elle-même, qu'elle n'a rien à attendre d'une réalité
contemporaine qui lui est indifférente. Elle doit dés lors prendre son destin
en main, « se rendre contagieuse et inévitable ». Mais je sais
aussi que c'est toujours « en poésie que se puisent les énergies
premières de l'écriture, le rapport vif et fertile au langage, la pulsion
vitale de la langue, les images fondatrices, les légendes originelles ».
En un mot, il s'agit, et c'est la grande leçon de Césaire, des vrais
poètes : de « sauvegarder la dignité du rêve ».
Que de belles retrouvailles au ciel entre Damas, Senghor et Césaire que
l'éternité a réunis pour toujours ! Le Paradis est aux couleurs de la Négritude et
rechantent les nègres !
Amadou lamine Sall poète
Président
de la maison africaine de la poésie internationale –mapi-
Lauréat
des Grands Prix de l'Académie française
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