«Toute personne qui
prive un enfant prétendu esclave de la scolarisation en le transformant en
esclave est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une
amende de 50 000 à 500 000 ouguiyas.» Article 07 de la loi
portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes. La
campagne de sensibilisation sur cette loi bat son plein à l’intérieur de la Mauritanie. A
Nouakchott, dans beaucoup de familles, les filles placées, privées
d’école, souffrent de l’esclavage et du silence.
Aminata, a neuf ans. Elle est la
quinzième fille d’une famille polygame de quinze enfants. D’un village
reculé de la vallée du fleuve Sénégal, elle a été envoyée
par sa mère à une de ses lointaines tantes résidant à Nouakchott.
Comme toutes les filles placées, elle se réveille à six heures.
Pendant que les enfants de sa famille «adoptive » se préparent à
aller à l’école, Aminata leur prépare à manger. Pendant
qu’ils suivent les cours en classe, elle balaie, nettoie les carreaux, fait
le linge et d’interminables aller retour entre la maison et la boutique.
Quand les enfants de sa tante s’amusent, Aminata travaille.
Quand ils regardent la télé, elle cuisine. La tante, son mari, ses enfants,
les visiteurs…elle est au service de tous.
Tant qu’il y a une course ou un travail à faire, elle ne ferme pas l’œil. Aminata
se réveille avant toute la famille et se couche la dernière. » Le salaire
de Aminata : quelques forfaits versés à sa mère par sa
tante.
La traite des personnes, selon le protocole de Palerme du
25 décembre 2005 est un «processus par lequel un enfant est
recruté, déplacé de sa zone d'origine (à l'intérieur ou à l'extérieur d'un
pays) vers une autre destination dans des conditions qui le transforment en
valeur marchande ou à des fins d'exploitation ».
Victime de la traite
Aminata a été transférée d’un lieu (son village) vers un
autre Nouakchott). (Le moyen utilisé :
l’exploitation de sa condition d’enfant pauvre et vulnérable. La
convention entre les parents de la fille placée et sa famille d’accueil est
tacite. « Je vous donne ma fille et vous me versez une petite somme
quand vous voulez. » Parfois, il n’y a aucune contrepartie. De
pauvres familles livrent leurs fillettes qu’elles ne peuvent plus nourrir
en espérant qu’elles vivront heureuses avec leurs patrons. Une sorte
d’effroyable troc : l’esclavage à la place de la pauvreté matérielle.
Les parents des filles placées sont généralement «castés » ou
descendants d’esclaves issus de milieux ruraux pauvres et
vulnérables. En contrepartie de sommes modestes, Ils confient leurs
filles aux familles supposées nanties et «nobles » des grands
centres urbains.
Le sort fait aux filles placée est une infraction à la nouvelle loi portant
incrimination et répression des pratiques esclavagistes. La fille
placée, souvent mineure, est privée d’école. Elle travaille du lever
au coucher du soleil. L’esclavage, ce n’est pas seulement dans le adwabas,
les palmeraies ou derrière les troupeaux de chameaux. Parfois, le drame a
lieu dans l’appartement des voisins.
Un drame « normal »
Le recours aux filles placées (violation de tous les droits de
l’enfant) est tellement répandu en Mauritanie,
tellement banalisé qu’une application effective de la loi enverrait de nombreuses
« respectables » familles en cours d’assises. Le
caractère privé du phénomène des filles placées est un obstacle à tout
contrôle. A première vue, une fille placée est comme un enfant de la
famille. Le drame qu’elle endure fait partie de la normalité ambiante.
Les filles domestiques, âgées généralement de 10 à 15 ans, sont privées de
loisir, d’école et de
l’affection de leurs parents. Cette misère affective,
les pousse souvent, vers 14 ou 15 ans, dans les bras du jeune mécanicien ou
menuisier du coin. La suite, c’est une grossesse précoce non désirée et
leur renvoi au village d’origine où elles vont accoucher d’un mort né et
d’une fistule obstétricale.
Au cours des plénière consacrées au projet de loi portant incrimination et
répression des pratiques esclavagistes, les honorables députés ont demandé
plus que le vote d’une loi. Ils ont plaidé pour des mesures économiques
d’accompagnement et une sensibilisation de grande envergure visant le
changement des mentalités. Avant de faire le voyage des adwabas, de la
brousse lointaine pour la sensibilisation, les représentants du peuple, de
la société civile et de
l’Etat doivent jeter un coup d’œil chez leurs
voisins. Histoire de voir s’il n’y a pas de petites esclaves qui y
souffrent en silence.
Le 12/02/2008
Khalilou Diagana
source : Nouakchott Info