DAKAR, 27 août 2007 (IRIN) - Le
gouvernement mauritanien doit prendre des mesures supplémentaires pour assurer
que la nouvelle loi, qui fait de l’esclavage un délit, ait un impact, selon
plusieurs défenseurs des droits humains.
« La nouvelle loi est un premier pas très positif. Mais ce n’est qu’un
premier pas », a déclaré Romana Cacchioli, la coordinatrice des programmes du
groupe de pression non-gouvernemental britannique Anti-Slavery International,
en Afrique. « On n’éradique pas
l’esclavage uniquement en adoptant une loi ».
Le 8 août, l’Assemblée nationale mauritanienne a adopté à l’unanimité
une loi criminalisant
l’esclavage, toujours pratiqué en Mauritanie, à la fois
sous des formes traditionnelles et contemporaines. Selon cette loi, adoptée par
le Sénat le 22 août, l’esclavage est désormais passible d’une peine de 5 à 10
ans d’emprisonnement. Il s’agit de la première fois, dans
l’histoire de la
Mauritanie, que les maîtres d’esclaves sont sanctionnés.
Malgré tout, dans le sillage de la Journée internationale du souvenir
de la traite négrière et de son abolition, célébrée le 23 août, les
organisations locales et internationales appellent le gouvernement à en faire
davantage pour donner une vraie valeur à cette loi consacrée au quelque
demi-million d’esclaves que compterait la Mauritanie.
« Des mesures d’accompagnement sont nécessaires pour que cette loi ne
soit pas une lettre morte, mais [qu’elle puisse] contribuer à l’émancipation de
ces anciens esclaves », a estimé Mamadou Moctar Sarr, secrétaire exécutif du
Forum des organisations nationales des droits humains en Mauritanie (FONADH).
« Il n’est pas trop tôt pour commencer à débattre des prochaines
mesures à prendre », selon Julia Harrington de l’Open Society Justice
Initiative, un programme international d’action en faveur d’une réforme
juridique. « La loi actuelle ne sera pas vraiment efficace en elle-même »,
a-t-elle déclaré à IRIN depuis Nouakchott, où elle débattait, en compagnie
d’autres organisations non-gouvernementales (ONG), du meilleur moyen de faire
pression sur les autorités.
D’autres mesures sont nécessaires
Les ONG demandent la mise en place d’un mécanisme de contrôle et de
mise en application de la loi, qui permettrait d’enquêter sur les allégations
d’esclavage, de négocier la libération
d’esclaves et d’accorder des
compensations.
« L’adoption de cette loi est incroyablement importante et symbolique,
mais on ne sait pas encore précisément quel effet elle aura dans la pratique »,
a déclaré Mme Harrington.
«
Même s’ils ne sont plus esclaves, tant qu’ils seront dépendants
financièrement, ils ne seront jamais complètement libres »
|
A l’heure actuelle, les victimes de
l’esclavage doivent se plaindre auprès de la police, « qui n’a probablement pas
la mentalité et incontestablement pas les ressources nécessaires pour appliquer
la loi ». Selon elle, la loi doit également donner aux victimes le droit
d’engager des poursuites civiles à l’encontre de leurs maîtres, une disposition
qui ne figure pas dans ladite loi.
Les ONG insistent sur le fait que les anciens esclaves ont besoin de
suivre des programmes de réinsertion sociale et économique si l’on veut qu’ils
soient véritablement libres. Elles souhaitent que le gouvernement ouvre des
centres d’accueil pour les esclaves qui quittent leurs maîtres, et qu’il leur
donne des terres et l’opportunité d’exercer des activités génératrices de
revenu.
« Même s’ils ne sont plus esclaves, tant qu’ils seront dépendants
financièrement, ils ne seront jamais complètement libres », selon M. Sarr, du
Forum des organisations nationales des droits humains en Mauritanie (FONADH).
Autre demande majeure : la gratuité de l’éducation pour les enfants
d’esclaves. « Toutes ces personnes doivent connaître leurs droits […] pour
qu’elles sachent que ce sont des personnes [à part] entière et qu’elles soient
fières d’elles-mêmes », a ajouté M. Sarr.
Pour les associations, il est essentiel de lancer une campagne de
sensibilisation afin d’informer les populations que l’esclavage est désormais
un crime, et qu’il est également considéré comme incompatible avec l’islam. La
Mauritanie est la seule république islamique
d’Afrique de l’Ouest. Selon Mme
Cacchioli, les dignitaires religieux ont promis d’aborder
l’abolition de
l’esclavage dans leurs sermons.
Les associations exercent également des pressions en faveur de
l’adoption d’une loi globale contre la discrimination, qui porterait sur le
lien entre l’esclavage et la discrimination. « Bon nombre des héritages de
l’esclavage tournent autour de la discrimination », a ajouté Mme Cacchioli,
notant que certains enfants d’esclaves s’étaient vu interdire l’accès aux
terres et à
l’eau, et n’avaient pas pu se présenter à des élections.
Une pratique ancienne
L’esclavage existe depuis plusieurs siècles en Mauritanie, un pays du
Sahel qui s’inscrit géographiquement et culturellement entre l’Afrique du Nord
arabe et l’Afrique subsaharienne noire. Mais l’asservissement des arabophones
noirs (les Haratines) n’est pas uniquement pratiqué par les Maures arabes de
classe supérieure (Berbères arabes) ; il existe également chez les Noirs
africains, principalement au sein des ethnies halpulaar et soninké.
Il est difficile de quantifier la prévalence de cette pratique, abolie
par la communauté internationale. Selon une estimation de l’Open Society
Justice Initiative, la proportion d’esclaves et d’anciens esclaves s’élève à 20
pour cent de la population – soit environ 500 000 personnes – toutefois,
d’après l’organisation, ces statistiques sont impossibles à confirmer. Selon la
plupart des estimations, la caste des Haratines – esclaves, anciens esclaves ou
descendants d’esclaves – représente près de 40 à 50 pour cent de la population
mauritanienne, bien que le gouvernement n’ait pas officiellement communiqué les
résultats du dernier recensement.
«
Nous sommes optimistes et nous continuerons à les demander [les mesures
d’accompagnement] jusqu’à ce qu’un jour, on les obtienne, car elles sont la
solution au problème »
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En Mauritanie, l’esclavage se pratique sous différentes formes :
certaines personnes vivent indépendantes mais ne peuvent se marier sans
l’autorisation de leur maître, d’autres « n’ont rien à se mettre sous la dent à
moins que leur maître ne leur donne à manger, passent leur vie à s’occuper de
celui-ci, et se font battre tous les jours », selon Mme Harrington, de Justice
Initiative.
Une évolution des attitudes
Selon les ONG, malgré ses lacunes, la nouvelle loi marque une évolution
majeure de l’attitude du gouvernement. En effet, si l’esclavage a bel et bien
été aboli en Mauritanie en 1981, les gouvernements précédents avaient toujours
nié l’existence de cette pratique et le sujet était resté tabou.
« Cette loi est une reconnaissance que cette pratique existe », a
déclaré Boubacar Messaoud, le président de SOS-Esclaves, l’ONG locale qui a
dirigé les pressions en faveur d’une loi contre l’esclavage.
Toutes les ONG contactées par IRIN ont dit penser que le premier
gouvernement mauritanien démocratiquement élu – en mars 2007 – s’était montré
sincère en promettant d’éradiquer
l’esclavage, et qu’il prendrait leurs
demandes au sérieux.
« Nous sommes optimistes », a affirmé M. Messaoud. « Et nous
continuerons à les demander [les mesures d’accompagnement] jusqu’à ce qu’un
jour, on les obtienne, car elles sont la solution au problème ».