VICTOR
HUGO ET L 'AFRIQUE OU LE MEPRIS PATERNALISTE
Ce
texte de Victor Hugo extrait du recueil de ses discours nous donne
une idée de ce qu'était Victor Hugo, ce "grand
humaniste".
DISCOURS
SUR L'AFRIQUE Le
Colonialisme dans toute sa splendeur...
Le
dimanche 18 mai 1879, un banquet commémoratif de l'abolition de
l'esclavage réunissait, chez Bonvalet, cent vingt convives. Victor
Hugo présidait. Il avait à sa droite MM. Schoelcher, l'auteur
principal du décret de 1848 abolissant l'esclavage, et Emmanuel
Arago; à sa gauche, MM. Crémieux et Jules Simon. On remarquait dans
l'assistance des sénateurs, des députés, des journalistes, des
artistes. « Messieurs, Je préside, c'est-à-dire j'obéis;
le vrai président d'une réunion comme celle-ci, un jour comme
celui-ci, ce serait l'homme qui a eu l'immense honneur de prendre la
parole au nom de la race humaine blanche pour dire à la race humaine
noire: Tu es libre. Cet homme, vous le nommez tous, messieurs, c'est
Schoelcher. Si je suis à cette place, c'est lui qui l'a voulu. Je
lui ai obéi. Politiquement, vous le pressentez, je
n'ai pas besoin de vous le dire. Géographiquement,permettez que je
me borne à cette indication,a destinée des hommes est au sud.
(...) Le moment est venu de donner au vieux monde cet
avertissement: il faut être un nouveau monde. Le moment est venu de
faire remarquer à l'Europe qu'elle a à côté d'elle l'Afrique. Le
moment est venu de dire aux quatre nations d'où sort l'histoire
moderne, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la France, qu'elles sont
toujours là, que leur mission s'est modifiée sans se transformer,
qu'elles ont toujours la même situation responsable et souveraine au
bord de la Méditerranée, et que, si on leur ajoute un cinquième
peuple, celui qui a été entrevu par Virgile et qui s'est montré
digne de ce grand regard, l'Angleterre, on a, à peu près, tout
l'effort de l'antique genre humain vers le travail, qui est le
progrès, et vers l'unité, qui est la vie. La Méditerranée est
un lac de civilisation; ce n'est certes pas pour rien que la
Méditerranée a sur l'un de ses bords le vieil univers et sur
l'autre l'univers ignoré, c'est-à-dire d'un côté toute la
civilisation et de l'autre toute la barbarie. Le moment est venu de
dire à ce groupe illustre de nations: Unissez-vous! Allez au sud.
Est-ce que vous ne voyez pas le barrage? Il est là, devant vous,
ce bloc de sable et de cendre, ce monceau inerte et passif qui,
depuis six mille ans, fait obstacle à la marche universelle, ce
monstrueux Cham qui arrête Sem par son énormité - l'Afrique.
Quelle terre que cette Afrique! L'Asie a son histoire, l'Amérique
a son histoire, l'Australie elle-même a son histoire; l'Afrique n'a
pas d'histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l'enveloppe.
Rome l'a touchée, pour la supprimer; et, quand elle s'est crue
délivrée de l'Afrique, Rome a jeté sur cette morte immense une de
ces épithètes qui ne se traduisent pas : Africa portentosa !
(Applaudissements) C'est plus et moins que le prodige. C'est ce qui
est absolu dans l'horreur. Le flamboiement tropical, en effet, c'est
l'Afrique. Il semble que voir l'Afrique, ce soit être aveuglé. Un
excès de soleil est un excès de nuit. Eh bien, cet effroi va
disparaître.
Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont
deux grands peuples libres, la France et l'Angleterre, ont saisi
l'Afrique; la France la tient par l'ouest et par le nord;
l'Angleterre la tient par l'est et par le midi. Voici que l'Italie
accepte sa part de ce travail colossal. L'Amérique joint ses efforts
aux nôtres; car l'unité des peuples se révèle en tout. L'Afrique
importe à l'univers. Une telle suppression de mouvement et de
circulation entrave la vie universelle, et la marche humaine ne peut
s'accommoder plus longtemps d'un cinquième du globe paralysé. De
hardis pionniers se sont risqués, et, dès leurs premiers pas, ce
sol étrange est apparu réel; ces paysages lunaires deviennent des
paysages terrestres. La France est prête à y apporter une mer.
Cette Afrique farouche n'a que deux aspects : peuplée, c'est la
barbarie; déserte, c'est la sauvagerie; mais elle ne se dérobe
plus; les lieux réputés inhabitables sont des climats possibles; on
trouve partout des fleuves navigables; des forêts se dressent, de
vastes branchages encombrent çà et là l'horizon; quelle sera
l'attitude de la civilisation devant cette faune et cette flore
inconnues? Des lacs sont aperçus, qui sait? Peut-être cette mer
Nagaïn dont parle la Bible. Cet univers, qui effrayait les romains,
attire les français. (...) Aux faits populaires viennent
s'ajouter les faits humains; la forme définitive s'entrevoit; le
groupe gigantesque se devine; et, pour ne pas sortir des frontières
que vous vous tracez à vous-mêmes, pour rester dans l'ordre des
choses où il convient que je m'enferme, je me borne, et ce sera mon
dernier mot, à constater ce détail, qui n'est qu'un détail, mais
qui est immense: __au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir
un homme; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde
(Applaudissements.) Refaire une Afrique nouvelle, rendre la
vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème.
L'Europe le résoudra. Allez, Peuples! emparez-vous de cette
terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu.
Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l'Afrique à l'Europe.
Prenez-la. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même
coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en
propriétaires. Allez, faites ! Croissez, colonisez, multipliez
! « »
Source : Actes et Paroles, Volume 4 by Victor Hugo
Projet http://www.gutenberg.org/etext/8490
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