L’impossible unité nationale : Les principaux obstacles (cinquième partie)

L’impossible unité nationale : Les principaux obstacles (cinquième partie)/Par le colonel (E/R) Oumar Ould BeibacarL’esclavage – Le premier obstacle est, incontestablement, le problème de l’esclavage qui sévit dans toutes nos communautés, même s’il est plus apparent chez les Maures.

Ce fléau dont souffre la composante harratine, exploitée, discriminée et marginalisée, depuis des siècles, et que le pouvoir militaire cherche, coûte que coûte depuis son avènement, à entretenir et à perpétuer, au mépris de la Constitution et de la loi, sans doute pour mieux nous diviser afin de mieux régner.

Ce fléau dont il nie l’existence, au moment où il fonde des tribunaux spéciaux pour le réprimer. Un fléau en train de faire exploser, à moyen terme, la communauté maure. Le sort des Matchoudos, esclaves toucouleurs et des Komés, esclaves des soninkés, les oubliés de la République et de la Liberté, qui ne figurent même pas sur l’agenda des abolitionnistes, doit être traité sans passion, avec beaucoup de sérieux et d’appréhension.

Ceux-ci étant de la même couleur et portant, parfois, les mêmes noms que leurs maîtres, donnent l’impression de vivre dans un système égalitaire, alors qu’ils sont victimes de beaucoup de discriminations dissimulées.

Leurs traits portent souvent les stigmates de leurs souffrances morales et psychologiques. Spoliés, terrorisés, frustrés et privés de leur dignité, de leurs terres et, parfois, de leurs biens, ils subissent, en silence, l’arbitraire quotidien de leurs maîtres qu’ils ne peuvent dénoncer.

Certains, comme les Komés, de la communauté la plus esclavagiste du pays, à savoir des soninkés du Guidimakha, souffrent de discrimination, parfois même à titre posthume. Ils n’ont même pas, semble-t-il, le droit de prier dans la même mosquée que leurs maîtres et après leur mort, ils n’ont pas le droit d’être enterrés dans le même cimetière.

Les langues maternelles ou nationales

Le deuxième obstacle à l’unité nationale est, incontestablement, le problème linguistique. La Mauritanie n’est pas l’Egypte, la Mauritanie n’est pas l’Irak ou la Syrie, la Mauritanie n’est pas la Libye.

La Mauritanie est une république islamique où cohabitent des arabo-afro-berbères ou beïdanes et des négro-mauritaniens unis par des liens séculaires de civilisation et de religion. Elle constitue un trait d’union entre le monde arabe et le monde africain, c’est un pays multinational et pluriculturel fortement arabisé par l’islam.

La nation est composée de quatre communautés : la communauté maure qui parle le Hassaniya, la communauté peuhle qui parle le pulaar, la communauté soninké qui parle le soninké et la communauté Wolof qui parle le Wolof.

A cause de l’Islam, l’arabe est incontestablement la langue unitaire pour toutes ces communautés, à condition qu’elle soit acceptée par tous, dans le respect mutuel de leurs différences, et qu’elle aboutisse au rétablissement d’une meilleure harmonie et d’une meilleure confiance, entres toutes nos communautés. Et, surtout, ne pas donner l’impression d’être une langue de domination, une langue d’exclusion.

La transcription en lettres arabes, des langues négro-mauritaniennes facilitera, indubitablement, leur assimilation par la composante maure. Je me souviens qu’en 1969-72, quand mon père polyglotte était le chef d’arrondissement à Mbagne, il recevait, très souvent, des visiteurs pour leur lire des correspondances, en provenance de leurs proches au Sénégal, écrites en pulaar, avec des caractères arabes et leur écrivait, en retour, des réponses, suivant le même procédé.

Cependant, leur transcription en lettres latines, effective depuis plusieurs décennies, est aussi indispensable, puisqu’elle permet, à nos composantes négro-mauritaniennes, d’abord d’affirmer leur différence, et, aussi, de maintenir des liens harmonieux avec leurs frères de même ethnie qui se trouvent dans les pays voisins et dans tout le continent.

Je me rappelle, qu’à la fin des années quatre-vingt, au cours d’une discussion avec de hauts cadres nationalistes arabes, en présence d’un membre du CMSN, au sujet de l’institut des langues, un de mes interlocuteurs m’avait dit : « Ils sont de vrais racistes, ces négro-mauritaniens qui travaillent à l’Institut des langues, puisqu’ils exigent la transcription de leurs langues en lettres latines ».

Je lui avais répondu : « il s’agit là d’un faux problème, il faut solliciter vos riches leaders, irakien et libyen, pour nous financer des instituts de langues ou la transcription se fera en lettres arabes, personne ne pourra la refuser et ce sera l’exception mauritanienne ».

L’essentiel est d’enseigner ces langues, même avec des lettres chinoises. Quant au choix par les experts négro-mauritaniens de l’institut des langues c’est leur plein droit, d’abord il ne s’agit pas d’un choix, parce que ces langues sont déjà enseignées dans plusieurs pays africains, avec ce caractère latin.

Ensuite ces négro-mauritaniens forment des communautés. Prenons l’exemple des peuhls : il y en a vingt millions, dans tout le continent africain, dont moins d’un million en Mauritanie. Ils sont présents au Sénégal, en Guinée, au Mali, au Niger, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, au Burkina, au Tchad, au Cameroun, en Centrafrique et ailleurs. Ils ont tous le droit à la différence et au plein épanouissement, dans leur communauté.

Ils veulent former des docteurs et des ingénieurs dans leurs langues maternelles, mais quels seront leurs débouchés? – Le problème, ce n’est pas de former des hauts cadres, pour leur trouver des débouchés. Le problème, c’est de communiquer avec ces composantes, dans leurs langues maternelles.

Le préfet, le médecin, l’enseignant, le garde, le gendarme, le policier ou le fonctionnaire quelconque qui travaille à Mbagne, à Sélibabi ou à Rosso doit pouvoir s’exprimer respectivement, en pulaar, en soninké et/ou en ouolof. Il est grand temps qu’on se parle mutuellement, chacun dans sa langue maternelle, au lieu de continuer éternellement à se regarder en chiens de faïence.

L’Institut des langues fit, incontestablement, un travail remarquable qui donna un résultat très satisfaisant, avant d’être saboté par la junte militaire qui cherche, toujours, à brouiller les cartes, en entretenant un climat de méfiance entre nos communautés, avec des desseins personnels et égoïstes.

Le renforcement de toute cohésion nationale passe, nécessairement, par la valorisation des nos langues maternelles. Il est triste de constater qu’après plusieurs siècles de vie commune, la majeure partie des intellectuels arabo-afro-berbères ne peuvent pas distinguer entre le pulaar, le soninké et le wolof.

Malheureusement, le pouvoir actuel veut s’éterniser et n’accorde aucune importance à l’enseignement de nos langues maternelles, malgré le plébiscite des dialoguistes qui ont unanimement salué l’enseignement des trois langues négro-africaines.

Il faut, nécessairement, enseigner nos quatre langues maternelles. J’avais conseillé, aux écoles Diam Ly, fondées par mon frère et ami feu Ly Jibril Hamet, un fervent défenseur de l’enseignement des langues nationales, de prévoir, dans leur programme, une ou deux heures par semaine, au cycle primaire, pour l’enseignement de la langue pulaar, même à titre facultatif, je suis persuadé que beaucoup de parents d’élèves non peuhls seraient comblés d’apprendre que leurs enfants pourront parler le pular cette deuxième langue maternelle après le hassaniya, dès la fin du fondamental.

Seules des initiatives de ce genre peuvent, à mon avis, nous amener à réaliser l’enseignement de nos langues maternelles à travers nos écoles privées, en l’absence d’une volonté politique nationale compromise par le pouvoir militaire, depuis son avènement. De quelle logique peut-on accepter aux turcs d’enseigner leur langue obligatoirement dans leurs écoles privées de Nouakchott, et refuser, aux nationaux, d’enseigner leur langue maternelle, dans leur école privée ?

Le hassaniya dont l’enseignement ne fut pas à l’ordre du jour vient, cependant de marquer des points en dehors de nos frontières. En Avril 2017, « le petit Prince », d’Antoine de Saint-Exupéry, publié en 1943, en français et en anglais, fut traduit dans une 300ème langue : le hassaniya. Pour surmonter le problème de l’enseignement des langues nationales, ‘’seule une politique linguistique et culturelle judicieusement pensée, clairement exprimée, largement discutée et approuvée unirait nos communautés nationales au lieu de les opposer’’, dixit Alfa Ibrahim Sow.

L’arabe n’est pas une langue nationale

L’arabe est une langue divine, une langue universelle. C’est la langue du Coran, de l’islam et des musulmans ; donc la langue de tous les Mauritaniens, sans exception aucune, quelles que soient leurs origines ou leur couleur. Elle est langue officielle de la République islamique de Mauritanie.

Cependant l’arabe n’est pas une langue nationale, puisque seuls les intellectuels la parlent. Nous, les Maures, nous l’apprenons à l’école, avec nos frères négro-mauritaniens. Je me rappelle qu’au collège de Kiffa, un des meilleurs élèves en arabe était un jeune peuhl, nommé Ba Abou Gallo. Il était en 4ème quand j’étais en 6ème, notre professeur d’arabe, Mohamed Yahya Ould Ahmed El Hady, ne ratait jamais l’occasion de nous faire les éloges de cet excellent arabisant.

Un maure qui n’a pas appris la langue arabe ne comprend pas le contenu de la khotba, l’important discours religieux tenu par les imams, lors du rassemblement du Vendredi. Certes, le hassaniya est un dialecte très proche de l’arabe mais il est très différent. Aussi les arabophones qui ne connaissent pas le hassaniya n’en comprennent absolument rien. L’arabe et le hassaniya sont deux langues différentes.

J’ai un ami et parent, un brigadier de la Garde à la retraite, qui fréquente régulièrement les mosquées, depuis plus d’un quart de siècle. Sachant qu’il ne connaît pas l’arabe, je lui ai posé une question sur le contenu de la khotba, à l’issue d’une prière du vendredi que nous avions effectuée ensemble. « L’imam est très fort dans le domaine religieux », me répondit-il, « c’est un grand savant. – mais, moi, je ne parle pas de l’imam, seulement du contenu de sa khotba ». Il m’avait répliqué au sujet des khotbas : je ne comprends pas grand chose, je ne comprends que les prières, mais je sais qu’elles sont très importantes.

Aussi beaucoup d’intellectuels négro-mauritaniens francophones, ainsi que des centaines de milliers d’analphabètes maures et noirs, passent tout le temps de la khotba à glisser, entre leurs doigts, les grains de leurs chapelet, en récitant des prières, sans rien comprendre au discours de l’Imam.

A l’exception du pédagogue Mohamed Ould Sidi Yahya qui déclame sa khotba en hassaniya, en traduisant les versets du Coran et les hadiths du Prophète, et d’un imam peuhl, dans une mosquée d’El Mina, au Sud du carrefour Yero Sarr, qui fait la même chose en pulaar, tous les autres imams font leurs khotbas en arabe classique et ne donnent aucune chance, à leurs nombreux auditeurs non arabophones, d’en comprendre quelque chose. Or, à quoi sert une khotba que personne ne comprend ?

Un bilinguisme nécessaire

Pourtant, la mise en œuvre d’un système éducatif adéquat, fondé sur un bilinguisme franco-arabe identique à celui pratiqué, par la Tunisie, depuis 1956, pays musulman de rite malékite, peuplé presque uniquement d’arabes, fruit d’une solution consensuelle, accompagnée d’un enseignement des quatre langues nationales serait une bonne chose, en attendant des jours meilleurs.

Le français n’est plus une langue étrangère à la Mauritanie, il y est devenu une langue locale. Cela fait plus d’un siècle que cette langue côtoie, chez nous, la langue arabe. Nos archives de cent ans, ainsi qu’une partie de notre histoire récente, sont écrites en français. Notre administration fonctionne avec cette langue et la plupart de nos meilleurs cadres sont formés en France ou dans des pays francophones.

Les ordonnances et analyses médicales demandées, par tous nos médecins, y compris les arabophones, ainsi que les résultats des laboratoires, plus les permis d’occuper et titres fonciers sont écrits en français. Toute la comptabilité nationale, publique et privée, ainsi que le réseau administratif de commandement, fonctionne toujours dans la langue de Molière. Les banques, l’accès à Internet, le code de la route, entre autres, exigent un minimum de connaissance de la langue française.

Tous les panneaux et plaques de signalisation et d’indication, à l’intérieur des villes, ainsi que dans les bureaux publics ou privés, sont écrits en arabe et en français. Dans le contexte régional et international actuel, nos officiers et nos sous-officiers sont obligés de donner et de recevoir les commandements uniquement en français, pour faire face aux défis sécuritaires.

Le français nous permet de communiquer avec nos voisins arabes et africains. C’est, incontestablement, un atout majeur dans le développement socio-économique de notre pays et fait désormais partie intégrante de notre patrimoine culturel : il est grand temps de l’adopter et de cesser de le vilipender, pour des intérêts égoïstes et racistes.

Le français est une langue riche et universelle, véhicule d’une grande civilisation qui a engendré la révolution de 1789, porteuse des valeurs de liberté, d’égalité et de justice. Une langue qui nous a permis d’accéder à la modernité et au savoir scientifique et technologique. Une langue véhiculaire, qui nous a permis de consolider notre unité nationale et de communiquer avec d’autres peuples, et particulièrement les peuples riverains.

Au cours d’une visite officielle auprès de la gendarmerie algérienne, en 2004, d’une délégation d’officiers de la Garde nationale, ayant constaté que les officiers algériens parlaient beaucoup en français, j’ai demandé, à l’un d’eux, pourquoi utilisaient-ils tant la langue française ? Il me répondit : « Pour nous les Algériens, le français est un butin de guerre ». Je répliquai : « Pour nous les Mauritaniens, le français est notre butin de paix ».

Le français, une langue qui nous a pacifiés, fait désormais partie intégrante de notre patrimoine culturel, qu’on le veuille ou non. Elle n’est plus une langue étrangère. C’est une langue nécessaire, une langue utile, une langue indispensable pour notre développement.

(À suivre).
Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibacar