Entretien avec Mme Aminetou Mint Moctar, présidente de l’Association des Femmes Cheffes de Familles

Entretien avec Mme Aminetou Mint Moctar, présidente de l’Association des Femmes Cheffes de Familles« L’insécurité a fini de s’installer dans notre pays et le gouvernement en est le principal responsable »

Le Calame : On assiste à une recrudescence de la violence à Nouakchott et à Nouadhibou. Des citoyens sont braqués et assassinés. Quelles être selon vous les causes de cette violence ?

Aminetou Moctar : La recrudescence des actes de braquages, de vols, de meurtres auxquels on assiste depuis quelque temps dans notre capitale s’expliquent par divers facteurs. D’abord la circulation de la drogue à laquelle s’adonnent nos enfants, en particulier ceux issus des milieux défavorisés. La commercialisation et la consommation ne cessent de croitre dans le milieu du banditisme.

Le deuxième facteur est la grande pauvreté qui prospère dans notre pays. Partout, on la perçoit. Beaucoup de familles ne disposent pas du minimum vital et leurs enfants qui ne vont souvent pas à l’école sont victimes de chômage et peuvent alors succomber aux sirènes de groupuscules qui écument la ville et sèment jusqu’à la mort.

Le troisième facteur qu’on peut avancer, c’est l’exclusion de nombreux jeunes des circuits de production et d‘ « autonomisation ». Ils n’ont aucune perspective. Et face à un horizon bouché, ils explorent ces pistes dangereuses. Les projets et programmes dont se vantent les autorités n’ont aucun impact sur l’avenir des centaines pour ne pas dire des milliers de jeunes.

Dans ce cadre, il faut souligner que notre société est fracturée entre une classe de nantis et une autre classe de misérables, ce qui, comme tout le monde le sait, crée des frustrations et des réactions de révolte contre une société à deux vitesses.

Autre fait, la multiplication des libertés provisoires au profit des auteurs de crimes et actes de braquage. Aussitôt arrêtés, ils bénéficient de liberté provisoire qui consacre une espèce d’impunité. C’est un perpétuel va et vient entre la prison et la rue auquel on assiste. La police et les responsables de justice et de prisons connaissent jusqu’au nom des auteurs de crimes, de vols et leur mode opératoire, ils peuvent donc les arrêter mais sans effet.

Il s’y ajoute enfin l’absence de stratégie de récupération des enfants en conflits avec la loi. Les jeunes arrêtés sont enfermés dans des centres fermés et une fois libérés, ils ne disposent pas des moyens pour leur réinsertion dans la vie.

On organise des sessions de formation dans des prisons, mais une fois sortis, ces enfants se retrouvent dans les mêmes situations que par le passé et peuvent facilement renouer avec les milieux du banditisme et de la criminalité.

-Il y a quelques semaines, le gouvernement a lancé le projet de protection de la ville de Nouakchott à travers l’installation de caméras de surveillance dans la capitale Nouakchott. Est-ce une solution efficace pour protéger les citoyens ?

L’installation de caméras de surveillance dans la capitale ne sert à rien. Au lieu d’installer ces gadgets, le gouvernement serait bien inspiré d’éduquer les enfants, leur offrir des perspectives pouvant assurer leur épanouissement dans un climat de sécurité et de sérénité.

Il faut aussi et surtout punir avec la rigueur de la loi, les auteurs de ces crimes odieux, de ces vols et viols. Je crois que la meilleure solution de tirer ces jeunes des griffes des bandits de grands chemins ; c’est les former et les orienter vers le secteur de l’agriculture ; là, ils trouveront des opportunités pour assurer leur avenir. Ils se sentiront utiles et pour leur famille et pour leur pays en produisant et en contribuant à la lutte contre l’insécurité alimentaire ; notre pays manque de produits essentiels.

La fermeture de Gargaratt, il y a quelques mois a prouvé combien notre marché dépendait de l’extérieur. On peut bien produire les fruits, les légumes et le riz à partir des terres arables du fleuve Sénégal, il suffit pour cela de changer de méthodes, d’approches et de mentalité par la formation et l’accompagnement et c’est bien possible. Ce faisant, nos enfants se sentiront utiles en contribuant au développement de leur pays.

-Lors de l’assassinat de la jeune Peinda Sogue, en 2013, les responsables de la société civile avaient organisé un sit-in de protestation pour demander que des mesures fortes soient prises par le gouvernement. Que s’est-il passe après ? Qu’attendez- vous faire face à cette flambée de violence urbaine ?

-C’est une question très importante parce que l’assassinat sauvage de cette jeune Peinda Sogue, de Meima et d’autres filles marque un véritable tournant dans l’horreur. C’est la raison pour laquelle, vous avez bien fait de le rappeler, les organisations de défense des droits de l’homme, les associations de jeunes et des simples citoyens se sont mobilisés pour réclamer une politique beaucoup plus ferme contre cette violence inouïe.

Ils avaient réclamé que soit mis fin à la violence juvénile. L’insécurité a fini de s’installer dans notre pays et le gouvernement en est le principal responsable ; c’est son devoir régalien de protéger les citoyens et leurs biens, le ministre de l’intérieur est responsable de ce qui se passe aujourd’hui, de la psychose qui sévit dans notre pays. Les citoyens sont sur le qui-vive, parce qu’en plein jour, on agresse, on braque, on viol et on tue ; le bras invisible peut surgir de nulle part et frapper.

Malgré donc le cri du cœur de ces organisations, au lieu de diminuer, à défaut de disparaître, la violence ne fait croitre, avec son cortège de blessés et de morts. Aujourd’hui, face à cette horreur qui gagne, à cette peur qui s’installe dans les familles, des voix continuent à s’élever pour réclamer des mesures draconiennes afin de mettre fin à ces violences.

AFCF associe sa voix à ce concert de protestations et continue à déplorer l’attitude des autorités. Tant que la justice ne fonctionne pas normalement, que les délinquants et auteurs de crimes continuent à entrer et sortir de prison comme cela se passe aujourd’hui, tant qu’ils continuent à bénéficier de l’impunité, la violence perdurera.

Il y a lieu pour le gouvernement de saisir cette malheureuse occasion pour prendre des mesures draconiennes; c’est pas par des caméras placées, ça y est là qu’on arrive à éradiquer cette spirale de violence, il faut, au contraire que les auteurs des crimes soient châtiés, qu’ils paient pour les forfaits qu’ils ont commis, même si la prison n’est pas une fin en soi, un objectif, mais un moyen de dissuasion, elle permet d’éduquer les gens, ce qui suppose qu’il faut préparer leur sortie à travers des formations pour leur réinsertion.

Il faut faire de sorte que ces enfants embarqués dans cette galère, puissent être soustraits de ces fléaux, cela passe par la rééducation grâce à des spécialistes (psychologues, psychiatres, des travailleurs sociaux et Ong spécialisées, des avocats…).

Ces spécialistes peuvent contribuer à la récupération des jeunes en déconstruisant les idées qu’ils ont reçues dans la rue ou en prison. Malheureusement tout cela n’existe pas et on a plus privilégié la formation professionnelle sans opportunité de réinsertion dans la vie active.

Propos recueillis par Dalay Lam
Source : Le Calame (Mauritanie)